Didier l’a encore fait. CHAMPION MON FRÈRE. L’avantage de la victoire, c’est qu’on oublie tout, sauf la victoire. On ne parlera pas de jeu, ni d’absence de style, et encore moins de la boulette monumentale de notre gardien en finale. Avec Didier, seule la victoire est belle, et gagner, il connaît.
Le football est un jeu simple. Vingt-deux hommes poursuivent un ballon pendant 90 minutes et à la fin, l’équipe de Deschamps gagne.
La Coupe du Monde est terminée et le jeu va pouvoir reprendre ses droits. La parenthèse d’un mois à laquelle nous assistons tous les 4 ans met en évidence une tendance du foot moderne : le jeu, l’innovation et l’audace sont désormais du côté du football des clubs. Si nous devions imaginer un match entre le Real Madrid et notre chère équipe de France, il n’y aurait pas de doute quant au favori du match. Si l’émotion emporte tout pour la Coupe du Monde, la technicité et l’expertise sont passées du côté des clubs, parce que les clubs sont les superpuissances du football.
La société du spectacle
Le foot n’est pas un miroir de la société. Le foot fait partie de la société, avec toutes ses composantes et ses inégalités. L’avènement de la société du spectacle se traduit par le passage du sport à la scène, l’abandon d’une équité et d’un esprit au profit d’un contenu uniformisé, lisse et télégénique. Il y a toujours eu de l’argent dans le foot, mais jamais autant et aussi peu réparti. Une surprise ?
L’écart est gargantuesque entre les équipes de superstars qui brillent en Ligue des Champions – parfois en dépit de leur sélection – et nos bons vieux clubs de Ligue 1. Sur les dix dernières années, seuls 11 clubs différents ont joué une finale pour espérer remporter la coupe aux grandes oreilles. Une réforme de 2016 a même condamné l’accès à la Ligue des Champions pour les « petits pays » de football, réservant une quasi exclusivité à l’Angleterre, l’Espagne, l’Allemagne, l’Italie et la France. Pour les autres, se faire une place est comme commencer une partie de Monopoly face à des adversaires qui ont une maison sur chaque avenue et toutes les gares.
L’écart économique se renforce avec des nouvelles règles mises en place par le régulateur européen du foot, qui favorisent l’établissement d’une ligue fermée. Des grands matchs chaque semaine, plus aucun match pourri contre des équipes faites de joueurs inconnus, du sale, de la roulette, du petit pont, de la frappe à la Pavard. Une Ligue des Champions sauce Instagram, entre riches et populaires clubs européens uniquement, sans relégation.
C’est sûr, sans réfléchir, l’idée est alléchante.
Les petits clubs ? Ils auront leur championnat, entre nuls, que regarderont les gens qui ne peuvent pas s’offrir un abonnement pour les chaînes diffusant la super ligue fermée européenne. Quel intérêt sportif s’il n’y a plus le risque de la relégation ? Quel est celui d’avoir une compétition sans surprise ? L’attrait d’un match vient aussi de sa rareté, peu tendance dans le monde de l’instantané et de la (sur)consommation.
La sécurité pour les investisseurs est la garantie de la présence de leur équipe dans une compétition de haut-niveau et diffusée à un public encore plus nombreux. Rassurer ceux qui mettent de l’argent dans le foot, les sponsors et les diffuseurs ne vaut pas l’âme d’un jeu et ne mérite pas une basketisation déjà entamée par les statistiques, l’arbitrage vidéo et la Playstation.
Liberté, Égalité, Amara Diané
L’esprit du football est dans le spectacle, certes, dans un jeu techniquement millimétré, bien entendu, et aussi dans la survie. C’est difficile de l’admettre, mais dans des cas très particuliers l’enjeu d’une rencontre et le résultat sont tellement importants que la manière importe peu. Nous avons gagné deux coupes Jules Rimet comme ça, au couteau, à la hargne et sans aucune autre option que la victoire. Les belles histoires du foot se construisent aussi dans les matchs ou un club joue sa survie, et ça, avec une ligue fermée, on l’aura perdu.
Tout vrai supporter parisien se rappelle de cette soirée enchantée de mai 2008 : après 34 ans de présence dans l’élite, le Paris-Saint-Germain joue sa survie dans le Doubs, avec un maigre point d’avance devant Toulouse au début de la partie. D’un pointu légendaire, Amara Diané fait passer le ballon entre les jambes de Teddy Richert, sauve la capitale et devient une légende du club. Le match au contenu hideux bascule dans l’Histoire. Sans Amara, pas de Qatar. Pas de Qatar, pas de Neymar.
Si l’idée est donc de ne surtout pas aller vers une ligue fermée, qui est la norme chez l’Oncle Sam, c’est parce que la culture du sport est différente en Europe. Le foot faisant partie de la société, sa consommation et son modèle de fonctionnement doivent être différents de ce qui se fait aux États-Unis. La romance inhérente au foot ne pourrait pas être comprise par le pragmatisme économique et la froideur statistique de la NBA.
Voir le foot comme un produit de consommation de l’industrie du spectacle, c’est changer sa nature, le transformer en ce que le football américain est au rugby : une pâle copie, grande gueule, bling bling et sans intérêt.