Des bons joueurs, l’équipe de France en aura connu. Des génies et un style de jeu, un peu moins. Hatem Ben Arfa, Yann M’Vila, Florent Sinama-Pongolle, Anthony Le Tallec, Yoann Gourcuff, Abou Diaby, Camel Meriem, tous ces joueurs dont les noms sonnent comme un écho du passé auront souffert de leur réputation d’ex futurs cracks.
Il avait suffi d’un doublé en match amical contre l’Ukraine pour que Marvin Martin soit comparé au meilleur joueur de tous les temps. « Ce n’est plus ZZ, c’est MM » avait osé Yann M’Vila, “Est-il le nouveau Zidane ?” avait titré le Parisien en 2011. Marvin Martin, lui aussi, venait de découvrir le syndrôme français de “l’enflammade”.
Au coeur de la spirale médiatique et populaire, l’enflammade gonfle les têtes et plombe les pieds, à la recherche désespérée de l’homme providentiel, au détriment du jeu.
Le culte de l’homme providentiel
Paradoxalement, la réussite de l’équipe de France passe par la réussite des joueurs plutôt que par celle du collectif. Si nous sommes autant à la recherche du nouveau Michel, du nouveau Zinédine ou qu’on s’est tant enflammé pour Marvin, c’est que la victoire de l’équipe de France s’est toujours construite grâce à l’avènement d’un joueur au talent extraordinaire.
La rigueur tactique, et la caractérisation du jeu de l’équipe de France par un style n’est que très rare, et fait presque figure de contre-nature dans l’histoire des Bleus. Avec Didier Deschamps c’est simple : peu importe la manière, seule la victoire compte, aussi moche soit-elle.
Cette quête du génie pour créer le jeu de l’équipe de France est une autre fenêtre qu’ouvre le foot sur la société. Le système français s’est toujours appuyé sur l’homme providentiel plus que sur le système : la Gaule de Vercingétorix, les rois de France de droit divin, la Vème République façonnée par et pour Le Général. L’homme providentiel qui viendra sauver la France et sublimer les règles du système pour outrepasser les clivages et les blocages est plus fort que le système et la tactique.
L’enflammade traduit l’impatience médiatique et populaire dans cette recherche du génie
Le contrecoup d’une équipe qui se base uniquement sur les joueurs avant de construire un collectif réside dans le niveau des joueurs. Les creux abyssaux atteints par la bande à Domenech en 2010 s’expliquent par la vacuité du jeu proposé. Pour réussir, il nous faudra un plan, voire deux.
Impose ton style
Le style c’est l’identité du jeu d’une équipe. Sans même distinguer les maillots, on peut reconnaître les meilleures équipes par leur jeu. Le style peut se transcrire à travers quelques statistiques intéressantes (position sur le terrain, rythme de transition du ballon, intensité) ou encore dans le coeur et les tripes que transmet une équipe. Face à cette émotion, se taire, murmurer, roucouler ou hurler pour chanter la Marseillaise, c’est du pipi de chat. Le style est une ligne directrice qui permet à une équipe de se fixer un objectif de jeu et de s’y tenir, au delà des hommes qui composent le système. Plus loin encore, le style de jeu renforce le collectif et la cohésion de l’équipe.
Sans carte d’identité de son propre jeu, le facteur clé de la réussite d’une équipe devient le résultat. Pour obtenir des résultats, on s’appuie donc uniquement sur des joueurs et leurs exploits individuels. Or, le style doit être au service des joueurs, et les joueurs au service du style. C’est ce que nous explique Thierry :
L’équipe de France redeviendra intéressante quand nous laisserons le temps aux jeunes d’intégrer ce que réclame le jeu (la moustache redeviendra hype d’ici là). Pour arrêter de s’ennuyer devant les matchs des Bleus, il faut qu’un jeu soit mis en place, et ce jeu nous permettra de nous rassurer sur le but à atteindre et la direction prise par l’équipe. Ce jeu nous permettra aussi d’axer les débats sur le foot, le vrai, et d’entendre moins d’idioties venant de toute part à propos de la sélection ou non d’un joueur. L’équipe de France, en temps que vitrine du foot français, deviendrait alors un modèle qui tirerait la formation, les clubs et la mentalité des joueurs vers le haut.
L’Allemagne a porté cette réflexion il y a quelques années déjà, dès 2006, en déclinant le style de jeu incarné par Joachim Löw jusque dans la formation des jeunes footballeurs allemands. Pour quel résultat ? Une gifle cataclysmique infligée au Brésil et une Coupe du Monde remportée dans la foulée, 12 années de boulot plus tard. C’est aujourd’hui une équipe solide qui tourne qu’importe les joueurs qui la composent, et c’est surtout un régal à admirer.
Raconte-moi une histoire
La France est notre pays, et on porte de l’intérêt aux matchs des Bleus par le lien émotionnel qui nous unit à cette équipe. Pour que ce lien persiste et se renforce, il ne doit pas être dépendant de la seule vérité du résultat. L’équipe doit prouver par le jeu, par l’envie et l’émotion qu’elle nous représente et surtout qu’elle nous raconte une histoire. Les 0-0 tout pourris dans le froid contre le Luxembourg, plus jamais ! De façon générale, un cuisinier exceptionnel fera mieux avec des ingrédients médiocres qu’un cuisinier médiocre disposant d’ingrédients exceptionnels.
N’enflammons pas nos ingrédients, devenons de meilleurs cuisiniers.