Bird People

Écrit et Réalisé par Pascale Ferran. Avec Josh Charles, Anais Demoustier, Roschdy Zem, Radha Mitchell, Mathieu Amalric, Clark Johnson, Hippolyte Girardot. 127 minutes. France. Sortie française le 4 Juin 2014.

<< En transit dans un hôtel international près de Roissy, un ingénieur en informatique américain, soumis à de très lourdes pressions professionnelles et affectives, décide de changer radicalement le cours de sa vie. Quelques heures plus tard, une jeune femme de chambre de l’hôtel, qui vit dans un entre-deux provisoire, voit son existence basculer à la suite d’un événement surnaturel. >>

Le titre parle déjà de lui-même. Des oiseaux, des personnes. Il n’y a pas à chercher très loin pour comprendre le film. Il est question de prendre son envol. Pascale Ferran nous présente deux personnages qui n’ont aucun lien. Si ce n’est d’être dans le même hôtel pendant toute l’action du film. Cet hôtel marque le pas de deux situations. Celle de Gary, co-propriétaire d’une entreprise, actuellement en mission. Puis la situation d’Audrey, qui travaille comme femme de chambre dans cet hôtel. Tous deux sont très pris par leurs travails. La manière dont Gary (Josh Charles) a d’accélérer chacun de ses mouvements. Et la quantité de service qu’Audrey (Anais Demoustier) doit effectuer. Se traduisant par de nombreuses ellipses dans les couloirs, et la visite de plusieurs chambres.

Le film est composé de deux parties distinctes, signalées par des cartons nommant les prénoms des personnages. Mais avant ces deux parties, l’empressement des deux personnages est expliqué dans l’exposition. Dans cette séquence de présentation, les actions des personnages se mêlent au montage. Et ce n’est pas pour rien qu’ils sont mélangés ici. Il y a l’intérêt de mettre en scène un enfermement. Tous deux pressés par leur travail respectif, Gary et Audrey sont enfermés dans leur quotidien et leurs responsabilités. Comme une bulle qui, sans cesse, tourne et circule (soit de ville en ville, soit de chambre en chambre). Ce que Pascale Ferran fait dans ce film, c’est éclater ces bulles.

Par l’éclatement de ces enfermements, Pascale Ferran pose une dualité. Celle qui associe liberté et responsabilités. L’histoire de prendre son envol, en laissant derrière soi nos responsabilités. Pour cela, elle explorera deux possibilités. La première, avec la partie sur Gary, constitue l’idée de se poser pour mieux décompresser. Gary décide de rester sur Paris, de vivre ici pour une durée indéterminée. Il se laisse donc prendre à l’aléatoire. Son mode de vie deviendra plus décontracté, la réalisatrice le montrera notamment par le changement de tenues vestimentaires. Mais surtout, les attitudes de Josh Charles vont se relâcher. Au départ dans la retenue, la crispation, l’acteur va détendre ses muscles et ses membres. Il s’allongera n’importe comment sur le lit, il va courir dehors pour prendre l’air, il va poser ses pieds sur la table, ses affaires deviennent bordéliques, etc… Tous ces détails donnent de l’importance à l’état d’esprit de Gary.

Il faut toutefois relever l’égale importance des technologies dans le mode de vie de Gary. L’acteur sera sans cesse en possession d’un outil technologique. Il passe un long moment à discuter avec sa femme par ordinateur (devrait-on en deviner Skype ?). Il passe beaucoup de temps au téléphone. Il a plusieurs fois la tête baissée sur son téléphone à naviguer dedans. La télévision est même allumée en pleine nuit. Puis, il lui arrive de jouer au Tetris pendant qu’il s’ennuie. Dans la partie sur Gary, la mise en scène de Pascale Ferran passera par ces deux éléments : les moyens technologiques et les mouvements/attitudes de l’acteur.

Dans la partie sur Audrey, on change totalement de direction. Audrey est déjà une personne posée. Dans sa situation, l’hôtel n’est autre qu’un chantier de répétitions. Les couloirs paraissent interminables, et les portes (aux allures identiques) s’enchainent dans ces couloirs. A chaque fois, le même rituel. Frapper à la porte, la même phrase qui annonce son entrée, ouvrir la fenêtre, jeter tous les déchets à la poubelle, refaire le lit, ranger la salle de bain, etc… Dans cette bulle de répétitions des mouvements d’Audrey, les portes et les fenêtres symbolisent la clôture qui enferme la femme de chambre. Comme si, à chaque fois qu’elle pousse son chariot devant une porte, des chaines l’attirent à l’intérieur pour répéter ces mouvements.

Le but avec son personnage, c’est de la libérer de ces chaines. Scotchée au métro, au bus et à l’hôtel, Audrey ressent le besoin de prendre l’air. Pascale Ferran lui donne donc accès à la liberté. Ici, comme un oiseau. Effectivement, l’oiseau a cette habitude de voler, aller d’espaces en espaces, puis de se poser quelque part pendant un court temps (branches, poubelles, sol, …). Le plus important avec cet oiseau, c’est la manière dont est amenée l’éclatement de la bulle d’Audrey. La réalisatrice axe sa mise en scène sur les portes et les fenêtres. Cet oiseau, passant les portes et des fenêtres, mais qui deviennent de plus en plus différentes. Les portes et les fenêtres deviennent des espaces de libération. Quelques exemples à fournir pour appuyer cette réflexion. Quand l’oiseau Audrey est pourchassée par un hibou, il se réfugie derrière la vitre d’une voiture. Quand l’oiseau Audrey a faim, elle entre dans une chambre par la fenêtre. Quand l’oiseau Audrey est menacée par un chat, elle se réfugie dans une chambre en passant par une porte. Je pourrais continuer longtemps.

En quelque sorte, que ce soit chez Gary ou chez Audrey, les chambres deviennent l’espace de libération. Là où, quelques moments auparavant, ces espaces signifiaient le chaos. Ce n’est donc pas une libération physique que Pascale Ferran nous propose. Mais bien une libération psychologique. Subsiste tout de même un premier problème. Pascale Ferran a de très belles idées de mise en scène. Mais ne fait rien de sa caméra. Dans les deux parties, tout est plan-plan. Une forme académique nous explose en plein dans les yeux. Les échelles de plan et les points de vue n’ont aucune signification. Car l’approche est trop linéaire. Pascale Ferran compte sur ses dialogues et sa mise en scène pour appuyer les émotions et les sensations à provoquer. La caméra n’agit qu’en simple témoin des situations. Quelques plans subjectifs feront plaisir à voir dans la réflexion du découpage. Mais tellement mal amenés.

Le deuxième problème du film, c’est la partie sur Gary. La mise en scène est fort agréable. Le paradoxe se poser / fuir pour se libérer est intéressante. Mais quand on détache la partie sur Gary, il en reste de la longueur. La dramaturgie de la situation du personnage est trop évidente. Il abandonne tout, et tout ce qui reste à Pascale Ferran, c’est la manière dont Gary doit l’annoncer. Quand on passe une quinzaine de minutes sur sa discussion avec sa femme, c’est tout simplement un remplissage de trou. Tout est tellement attendu, et même vu et revu. Chaque action de Gary est insignifiante et non nécessaire. Alors que concernant Audrey, l’apport de la transformation ajoute un ton unique au film. Ce ton manquait terriblement à l’heure précédente. En transformant Audrey en oiseau, la dimension fantastique amenée par Pascale Ferran apporte de l’humour. Une espèce d’ironie dans le portrait qu’elle dresse.

Car s’il y a une agréable mise en scène, c’est pour passer un message. Enfin, il faut plutôt dire que Pascale Ferran soulève une question dont elle ne donne aucune réponse. Elle ne fait qu’explorer une situation contemporaine, issue de sa vision de l’époque. La réalisatrice dresse le portrait du mode de vie dans lequel nous vivons actuellement. Celui où les technologies et l’enfermement sont les bases de toute connexion. Celui aussi où nous vivons pressés par nos responsabilités. Bien entendu, comme j’exprimais plus haut, elle le fait en ironisant son propos.

3.5 / 5
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