Burning

C’est l’histoire d’un chemin, solitaire et calme dans le premier plan, pour se finir dans le vertige de la brutalité dans le dernier plan. Entre deux, le processus est chaotique pour le protagoniste, mais dans une certaine contemplation sensorielle pour le-la spectateur-rice. BURNING brille par sa complexité, par ses différents points de vue, qui ensemble créent un récit paradoxal mais parfaitement rigoureux. Tout est une histoire de miroirs, de contraires et d’ambiguïté. Bien qu’Haemi fréquente deux jeunes hommes bien opposés dans le caractère et les méthodes, elle navigue entre les deux. L’un habitant à la ville (avec une vie aisée qui correspond) et l’autre vivant à la campagne (avec le rapport à la nature qui convient), Haemi passe d’un espace à un autre si naturellement. Elle existe à travers la résonance mélodramatique, jusqu’à ce qu’elle disparaisse soudainement.

Si la première partie, jeu de triangle amoureux aux airs de poésie du désir, la seconde partie est plus intense, dramatique et suffocante par son côté thriller. Constitué en deux parties, séparées dans une atmosphère hitchcockienne, BURNING passe subtilement du romantique au mental, du sentiment à la métaphysique. Alors que les deux parties semblent si différentes sur le papier et même dans la narration, elles sont en fait indéniablement liées. Sans que l’une soit la réponse ou la conséquence de l’autre, elles se reflètent l’une et l’autre. La première étant portée sur le physique, la seconde sur la psychologie, Lee Chang-dong met alors en scène la traduction de l’un en l’autre, et n’hésite pas à revenir sur des éléments, mais dans une tout autre ambiance.

Le cinéaste part alors du principe que le corps et l’espace sont liés à l’esprit. Avec un ton plein de mystères et d’allégories, la mise en scène est très portée sur les faux-semblants. Construisant les parcours des personnages avec plusieurs ellipses et des évolutions importantes, BURNING se projette davantage sur l’horizon, sur le hors-champ et sur la question temporelle. Le désir et la menace sont toujours ailleurs, tandis que le temps joue sur l’impression et l’apparence des personnages. S’attarder sur des attitudes, ou sur des attitudes qui pourraient s’opérer, tout en suggérant qu’un malaise existe entre les personnages mais sans le dévoiler. Le traitement intimiste de BURNING permet à son réalisateur de nous offrir des plans d’une ampleur virtuose. Avec une dimension très romanesque, notamment dans les plans-séquences, Lee Chang-dong veut créer une atmosphère percutante, et nourrir le mystère par la contemplation de l’horizon.

Tel un envoûtement créé par ces faux-semblants et ce romanesque, car Lee Chang-dong filme et met en scène ce que d’autres nomment « le vide ». Là où « il ne se passe rien », là où « c’est trop mou », le cinéaste en fait l’essence du mystère qui entoure ses personnages. Grâce à ce « vide », les personnages passent facilement du corps au mental, dans un cadre qui a toute la délicatesse de les laisser faire et de les accompagner dans chacun de leurs mouvements. Le tout dans une esthétique qui a le pouvoir de capter la sensorialité du trio et du mystère. Là où le montage et la narration fonctionnent comme un labyrinthe dans lequel s’engouffrent les personnages, la photographie et le son sont à la fois un effet d’étouffement (seconde partie) et un effet d’admiration troublante (première partie). BURNING est à la fois un vide très incarné, et une complexité délicate, ce qui le rend fascinant dans son exécution de l’ambiance troublante, sans savoir où commencer à séparer la réalité de l’imaginaire.

BURNING
Réalisé par Chang-dong Lee
Scénario de Chang-dong Lee, Jung-mi Oh, Haruki Murakami
Avec Ah-in Yoo, Steven Yeun, Jong-seo Jeon, Soo-Kyung Kim, Seung-ho Choi
Corée du Sud / 2h28 / 29 Août 2018

4.5 / 5