Le titre du film parle de lui-même : il s’agit d’une mise en abîme du cinéma, qui se concentre sur la pré-production avec l’enchaînement d’auditions dans le cadre d’un casting pour un film. L’entrée dans le film n’est pas brutale, elle s’effectue avec l’arrivée d’une actrice pour auditionner. On entre donc dans le film, et donc dans le casting, par la petite porte. Le cinéaste allemand, Nicolas Wackerbarth, adopte cette idée durant tout le film. Au fur et à mesure que les jours avancent en même temps que le casting, et que le premier jour de tournage se rapproche, la caméra s’immisce petit à petit dans les coulisses de ce casting. Le cadre commence par le couloir d’entrée et la loge maquillage, avant de se disloquer dans plusieurs pièces (pour décortiquer les moindres étapes et rôles au sein d’un casting) puis de se poser dans la grande pièce principale où se déroule le jeu des acteurs et actrices. La caméra se faufile dans les pièces, les couloirs et les conversations, afin de créer la connexion entre chaque attitude et chaque parole. Il est question de faire de la caméra ce qui lie chaque personne présente sur le casting, et ainsi de créer une dépendance entre chaque fonction / entre chaque espace / entre chaque instant de décision et de réflexion.
Il est pourtant dommage que cette immersion dans les différents espaces serve moins à les découvrir pleinement, et davantage à échanger les points de vue telle une partie de tennis de table. CASTING a la fâcheuse tendance à basculer ses points de vue selon les personnages qui libèrent leur parole et leur pensées. Concrètement, la caméra gravite autour de la metteuse en scène, pour capter chaque morceau de ce qui constitue l’équipe. Il est alors presque impossible d’explorer l’imaginaire de la metteuse en scène via le casting, tant l’accent est donné sur les différentes querelles et cruautés infligées. CASTING tend davantage à témoigner d’un univers impitoyable, plutôt qu’à le faire converger vers l’illusion des espaces. En effet, chaque personnage qui entoure la metteuse en scène prouve son implication personnelle, mais cela se réfère davantage à la manipulation humaine plutôt qu’à la dégradation d’une vision artistique. Nicolas Wackerbarth préfère mettre en scène / montrer la douleur et la frustration, que le chaos artistique qui s’installe.
Le cinéaste s’approche autant de ses personnages car il utilise la caméra à l’épaule, qui montre à la fois une forme d’instabilité et une recherche de sensibilité. Ce procédé permet au cinéaste de capter une impression de dérèglement permanent. Comme si un schéma pré-établi venait d’être brisé. Cela est palpable tout au long du film, même dès la première scène où une actrice se voit surprise et obligée de passer par la loge maquillage, en apprenant au même moment que son partenaire qui lui donne la réplique n’est pas la personne imaginée. Durant toutes ces journées d’auditions et d’implications de chaque personnage, le cinéaste capte la manière dont une seule décision peut affecter d’autres espaces. En restant alors dans le même bâtiment durant tout le récit, le cadre entreprend une démarche presque documentaire. Le cadre contient donc toutes les frustrations et les manipulations entre les personnages, en faisant de ce bâtiment un espace où se créent et se détruisent les fantasmes.
Tel un leurre permanent, où les gros plans grossissent les imperfections humaines, captent leurs instincts, et finissent par découvrir les prétentions individuelles. CASTING n’est au fond qu’une farce sur le cinéma, une mise en abîme qui se moque de ces procédés, tout en ayant un regard impuissant sur les situations. Parce que ces manipulations qui vident les personnes de toute humanité et de toute émotion au profit de la vision d’une seule personne, se déroulent réellement. La farce s’enferme dans le bâtiment des auditions car au travers de la caméra à l’épaule et du parcours entre tous ces espaces, CASTING passe progressivement du méta (sur le cinéma, sur les gens qui font du cinéma) à la fiction pure. Celle où les gens qui font du cinéma construisent eux-mêmes leur propre fiction. Une fiction synonyme de quête : chacun-e cherche à accomplir quelque chose, à assouvir un désir, à dévoiler des compétences, etc… Mais il y a l’univers impitoyable qui écrase les émotions, et qui fait de cette quête un fantasme innaccessible. C’est un mouvement qui ne trouve jamais de point fixe. La caméra à l’épaule, le mouvement instable du cadre, est une façon d’écraser les sensualités pour faire apparaître l’amertume et la nervosité. Il est simplement dommage que cette intention reste dans le prisme humain, et n’essaie pas le prisme artistique, qui interrogerait l’oeuvre en construction en même temps que les sensualités et les émotions s’écrasent une à une.
CASTING
Réalisé par Nicolas Wackerbarth
Scénario de Nicolas Wackerbarth, Hannes Held
Avec Judith Engel, Andreas Lust, Susanne Beier, Milena Dreißig, Stephan Grossmann, Marie-Lou Sellem, Andrea Sawatzki, Tim Kalkhof, Corinna Kirchloff, Ursina Lardi, Victoria Trauttmansdorff, Markus von Lingen
Allemagne
1h31
27 Février 2019