England is mine

Il est difficile de parler de biopic, puisque le genre n’a jamais réellement existé. Pour réellement être une biographie (et donc un biopic), il faut retracer toute la vie de la personne dont il est question. Or, c’est presque techniquement impossible. Même CLOCLO de Florent Siri n’est qu’un montage d’ellipses plus ou moins longues. Cela dit, on peut parler de biographie partielle, de semi-biopic, ou dans le plus commun des termes : de portrait. ENGLAND IS MINE fait partie de ces semi-biopic, où une seule période d’une vie en raconte davantage que toute la vie entière. C’est un focus, un rognage, qui permet de recadrer sur un seul thème. C’est exactement ce que fait Mark Gill : il raconte la vie de Steven Morrissey dans les années 1970 avant qu’il ne devienne le célèbre chanteur des Smiths. Cette méthode rend possible une approche qui ne se concentre pas uniquement sur une figure célèbre, mais d’aller plus loin. Comme si Steven Morrissey n’est que la représentation imagée, n’est que la métaphore.

Le film se concentre davantage sur une ambiance, celle d’une époque révolue. Mark Gill n’explore son protagoniste que durant les années 1970. Au Royaume-Uni, cette décennie est une grande période de changements. Aussi bien en termes culturels qu’en termes sociaux et politiques. ENGLAND IS MINE ne peint alors pas uniquement le portrait de Steven Morrissey, mais avec tous ces plans moyens, et ses nombreux cadres en contre-plongée, c’est un environnement qui est capté. Le cinéaste représente ici une société en mutation. Il n’y a pas besoin de davantage « personnages qui se sentent jeunes et vivants », parce que le film regarde tout l’inverse. ENGLAND IS MINE, qui était parfaitement sous-titré au Festival de Dinard en « Steven Before Morrissey », est un coming-of-age drama. A ceux qui affirment que le film est exempté de drame, pour juste un discours de « suivre ses rêves et ne jamais abandonner », il faut comprendre ce qu’est un coming-of-age drama. ENGLAND IS MINE en est le parfait exemple : c’est la période où une personne grandit, mais aussi ces instants universels où il faut grandir et s’affirmer.

Toutefois, le film de Mark Gill n’est pas dénué d’humour noir. Ce n’est pas une approche qui se développe au premier degré. Cet humour se déploie sur le mépris que possède le protagoniste pour tout ce qui l’entoure, surtout au niveau culturel. Là où Jessica Brown Findlay joue parfaitement la fréquentation qui amène Steven dans un cercle social, elle devient aussi son attache. C’est grâce à ce lien que la quête du protagoniste est intéressante, et non pas anecdotique. Sa quête est une chemin alambiqué, plein de contorsions. ENGLAND IS MINE est un film qui regarde le trouble, la tourmente et le sens de la misère avec délectation. Mais Mark Gill ne s’arrête évidemment pas ici. Parce que, pour viser pleinenement la solitude et la mutation, le cinéaste a besoin de toutes ces lumières intimes, de cette sensation d’enfermement et d’isolement dans la mise en scène. Il s’agit d’une mise en scène qui suggère le manque, le rêve constamment perturbé. C’est pour cela que les attitudes sont autant sur un mode pose, car il y a de l’attente / un jeu sur le temps.

C’est là que « l’esthétique du marron » fait son apparition. Oui, c’est une expression que j’ai imaginé, pour exprimer cette photographie très accentuée sur une touche marron, avec du noir, du gris, etc. Mais comprenant également cette lumière rare, principalement concentrée sur deux choses : soit faire ressortir l’intimité d’une scène dramatique, soit capter l’expression désabusée / mélancolique d’un visage. Cette « esthétique du marron », c’est la poésie d’une condition baroque. Mark Gill n’est pas non plus au point d’esthétiser une ambiance macabre, celle où une époque prend fin pour qu’une suivante puisse naître. Il s’agit surtout de l’émergence progressive d’une attitude / pensée au sein d’une autre. Il s’agit de la marginalisation d’un personnage au sein d’une société. Ainsi, la mise en scène et le rythme sont épurés, ses personnages sont prudes et son regard sonne comme un avant-goût.

ENGLAND IS MINE de Mark Gill
Avec Jack Lowden, Jessica Brown Findlay, Adam Lawrence, Jodie Comer, Peter McDonald, Laurie Kynaston, Simone Kirby, Katherine Pearce, Finney Cassidy
Pays d’origine : Royaume-Uni
Durée : 1h34
Sortie française : 7 Février 2018

3.5 / 5