LES ARCS FILM FESTIVAL 2018 – Compétition
Il y a parfois au cinéma des expériences assez brutales, assez dures,où l’émotion qui ressort d’un film est si forte que l’on se demande si le propos n’a pas pris le pas sur tout le reste. Il y a des films,comme ça, dont l’esthétique est juste une mise en image soignée et propre d’un récit qui dépasse complètement le cadre formel. JOY de Subaeh Mortezai fait surtout parler par ce qu’il raconte, et non pas par la manière dont il le filme. JOY est un film noir, un drame intime qui résonne par sa mise en scène et la parole. Subabeh Mortezai ne veut pas plonger son film directement dans l’ambiance tragique, elle construit d’abord une introduction via le personnage de Precious. Cette jeune femme va quitter le Nigeria pour l’Europe,le début du film suit donc son parcours chronologiquement, mais en allant à l’essentiel. Le montage passe directement du serment au Nigeria à un trottoir autrichien. Pas le temps de raconter des détails inutiles, la réalisatrice fait de son introduction un vecteur pour se rapprocher de la vraie protagoniste : Joy.
Ainsi, afin de découvrir Joy petit à petit, Sudabeh Mortezai utilise Precious comme un personnage qui accompagne la caméra vers le coeur du sujet. C’est même dans un silence total, sans musique ni parole,que la caméra suit Joy et Precious repartir de leur lieu de travail,prendre le bus, et retourner dans leur logement pas très accueillant. Ce chemin silencieux est un parcours quotidien et fatiguant pour les deux jeunes femmes, et est aussi un parcours introductif pour le/la spectateur-rice. Une fois que les bases sont installées, le film se lance dans son exploration d’un esclavagisme moderne. Ces jeunes femmes sont en Europe pour gagner de l’argent,afin d’aider leur familles restées au Nigeria. Cependant, elles sont exploitées par une dame (nommée « La Madame ») qui les prostitue toutes, et leur demande de l’argent en retour pour payer une certaine dette. La narration de JOY se déploie donc comme un parcours d’obstacles : plusieurs situations compliquées, plusieurs rencontres différentes, et un cercle vicieux où ces jeunes femmes reviennent sans cesse dans les mêmes espaces.
Cette notion de répétition (du mouvement, des espaces, des situations,des rencontres) est une façon de montrer le blocage de leurs désirs.Elles ne rêvent que de liberté, mais ces jeunes femmes sont soumises à une autorité qui peut les détruire complètement.Privées de visa et de passeport, ces jeunes femmes vont et viennent dans les voitures, les trottoirs, le logement et le salon de coiffure. Sudabeh Mortezai met avant tout en scène le pouvoir qu’exerce l’argent sur ces pauvres jeunes femmes sans défense. Avecc es répétitions de mouvement dans différents espaces, JOY est monté comme une mécanique de la pression exercée sur les jeunes femmes, une mécanique du pouvoir de l’argent. On pourra regretter que certains détails mentionnés ne soient pas davantage exploités,comme la petite fille de Joy, qui mériterait à faire partie de l’impact douloureux sur le quotidien de Joy. Son absence au montage est certes le miroir de Joy qui ne la voit que très rarement, mais il y aurait pu avoir une dimension plus mélodramatique au sein de cette mécanique de répétitions.
Même si la redondance de la mise en scène et de la narration est cohérente vis-à-vis du sujet et du regard apporté, JOY manque cruellement de profondeur dans son intimité. Bien que le hors-champ compte beaucoup dans ce film, ce qui est dans le cadre est trop souvent à l’arrêt au profit de la dure parole. JOY est un film noir qui n’a pas cette esthétique qui pourrait faire suffoquer ses protagonistes féminines. Au-delà de quelques passages où le cadre suggestif accompagné d’ellipse permettent de rendre compte d’une tragédie, le cadre ne se présente pratiquement que comme un témoin de l’action. Souvent reserré, le cadre s’approche des jeunes femmes pour capter le regard fuyant, mais sans travailler sur une projection des émotions. Le cadre peut se voir comme une définition d’une chronique, une manière de voir le récit d’un point psychologique et non physique, où le cauchemar des personnages serait vu comme un réalisme social venu du cinéma des frères Dardenne.
JOY
Écrit et Réalisé par Sudabeh Mortezai
Avec Anwulika Alphonsus, Mariam Sanusi, Angela Ekeleme
Autriche
1h39