Hymne à la vie, telle qu’elle soit, dans cette collaboration entre l’animation européenne et les merveilleux créateurs des studios Ghibli. Quoi de mieux, dans ce partenariat inédit pour Ghibli, que de proposer un hymne à la vie. Ce long-métrage co-écrit par Dudok De Wit (aussi réalisateur) et Pascale Ferran (à qui on doit le récent BIRD PEOPLE, également plein de poésie fabuleuse), a donc une intrigue très simple à comprendre : un homme échoue sur une île déserte tropicale peuplée de tortues, de crabes et d’oiseaux. A partir de là, le film déroule les étapes de la vie humaine.
N’arrivant jamais à quitter l’île, le protagoniste se voit contraint à y vivre. L’idée est tout aussi simple que l’intrigue : ré-apprendre à vivre, ressentir à nouveau les sensations et les émotions de la survie, par un retour à la sauvagerie. Tel un Robinson Crusoé, le naufragé doit s’adapter à la vie sauvage et désertique de l’île. Avec les essais incessants pour quitter l’île voués en échecs, avec la rencontre d’une jeune femme, avec la naissance d’un enfant : tout est propice au prolongement de la vie. Chaque nouvelle séquence, établie par une ellipse, est un morceau du puzzle de la renaissance. Un nouveau départ, une manière de ressentir les premières sensations.
Une sorte de fresque universelle, puisque les personnages ne sont ni nommés ni présentés, dont les situations relèvent des émotions les plus basiques : la joie, l’amour, la peur, la colère pour les plus récurrentes. Le soucis avec cette universalité est tout le symbolisme qu’il provoque : métaphorique à souhait, le film enchaîne le factuel et ne développe pas l’intimité des personnages dans les événements marquants. Tout est laissé en surface, pour justement tenter l’empathie dans la généralité. Or, le symbolisme abandonne toute chance de point de vue, concède l’égarement d’un caractère profond au profit d’une ambiguïté constante. A force de servir des métaphores, le film lui-même ne sait pas trop où il veut en venir. Le film manque clairement d’audace dans ce que l’île peut apporter aux personnages, dans leur mariage de deux vies : il ne s’agit ici que du temps qui passe, d’apprendre à se nourrir du nécessaire et à contempler.
Cet idéal minimaliste se dessine surtout par une absence de dialogues (d’où le non développement personnel / individuel des personnages), mais surtout par une musique omniprésente. Un peu trop, même. L’ambiance est à double tranchant : soit le visuel suffit par ses traits et sa modestie des détails, soit la musique crée le ton et les sensations d’une séquence. Cependant, LA TORTUE ROUGE reste l’un des films d’animation les plus aboutis : dans tous ses traits, il y a un travail monstrueux dans les détails du décor. L’espace de l’île est parsemé d’éléments tous aussi différents les uns des autres, impliquant plusieurs possibilités d’événements et de sensations. Tous ces traits verticaux dessinnant la forêt est une perdition permanente, tandis que la mare est une source de fraîcheur et de vitalité. Autre exemple plus flagrant : la plage est la confrontation constante entre la verticalité (celle de la forêt qui appelle à l’emprisonnement éternel sur l’île) et l’horizontalité (celle de la plage qui s’éloigne avec les vagues qui s’échappent).
Si l’île est autant détaillée, c’est parce qu’elle a aussi une vie à faire paraître. Cette île a de multiples facettes à découvrir, autant de lieux qui sont aussi beaux que dangereux. Le grand avantage de ce récit est de ne pas perturber la nature, il faut remarquer comment les personnages n’essaient à aucun moment de s’approprier l’espace : aucune construction de cabane, aucune modification d’un quelconque élément, etc. Dès que le protagoniste tente de s’en servir, pour un radeau, il est ramené sur l’île et abandonne. Le film permet de ré-apprendre à vivre, dans le prolongement, mais permet aussi de créer une harmonie avec la nature. LA TORTUE ROUGE, c’est l’union entre l’humain et la nature dans leur vies respectives.
Cette poésie de la nature est inscrit dans le lyrisme : entre les plans fixes, les détails exquis des traits et la musique, le film oscille sans cesse entre le réalisme, le rêve et le fantastique. Cette poésie montre que le film n’a jamais eu besoin de paroles, mais que la poésie du visuel suffit. Quasiment tout en plan fixe (quelques rares travellings forcés sont à noter), le film montre une bienveillance dans son mystère. L’intrigue ne tient pas à épaissir les traits, les couleurs impressionnistes suffisent amplement à obtenir des tableaux (les plans fixes), à obtenir une esthétique absolue : celle du mélange des couleurs et du un plan pour une sensation. Et vivent les crabes !
LA TORTUE ROUGE de Dudok De Wit. Écrit par Dudok De Wit et Pascale Ferran. France / Japon, 80 minutes, 2016.
3.5 / 5