L’année prochaine

Réalisé par Vania Leturcq. Écrit par Christophe Morand. Avec Constance Rousseau, Jenna Thiam, Julien Boisselier, Kevin Azaïs, Anne Coesens, Aylin Yay, Frédéric Pierrot. France / Belgique. 105 minutes. Sortie le 24 Juin 2015.

Il y a une mode depuis peu, dans le cinéma français, quand on ne sait pas comment aborder formellement les émotions. Déjà avec A TROIS ON Y VA de Jérôme Bonnell, il y avait cette incertitude derrière la caméra. Comment filmer les pulsions dans un contexte dramatique ? Que ce soit Bonnell ou ici Leturcq, ils répondent tous deux par la forme oppressante. Leur découpage est majoritairement composé de plans serrés, pas plus bas que le plan américain. Cette façon de piéger les personnages dans le cadre, n’offre pas beaucoup de solution(s) aux cinéastes. Parce qu’avec un tel découpage, le film ne se rythme jamais dans sa forme. Aucune dynamique n’est portée, aucune direction n’est suggérée : ce qui impose un manque total de point de vue, laissant ainsi ses personnages patauger dans une description de situations.

Ces scènes sont toutes factuelles, et ne vont pas au-delà. Malgré cela, il y a un propos qui tient la route. Le film a le mérite de ne jamais s’en éloigner, et de toujours opposer ses héroines. Que ce soit dans la jeunesse, l’amitié, les désirs ou le passage à l’âge adulte : les deux protagonistes sont comme des extrêmes. Même si un brin caricatural (la fille sérieuse est celle qui étudie la philo, la plus populaire et excentrique étudie les arts, sans jamais décoller ce cette idée), le film explore davantage la relation d’opposés que le développement personnel. Ici, au travers d’une belle écriture dans les répliques (il y a des passages aisés et logiques entre la tragédie et l’ironie), le long-métrage sait que le manque de rythme et de direction est (presque) comblé par des héroines lumineuses.

Et ce sont leur personnalités respectives qui vont alimenter la mise en scène. Le visage timide et prudent de Constance Rousseau va de paire avec le visage voluptueux et provocateur de Jenna Thiam. Avec les deux, on ne sait jamais laquelle est le pilier de la progression du récit. Parce que le film avance selon leur vie, mais elles apportent chacune (et à chaque séquence) un détail qui porte le film. Sauf que les actrices portent à elles seules le long-métrage. A cause de l’oppression formelle, la mise en scène est coincée. La fulgurance et la provocation de Jenna Thiam n’a aucune liberté dans les espaces. Ses attitudes sont minimales, si bien que le montage n’arrive jamais à en retranscrire toute l’énergie. La timidité et la prudence de Constance Rousseau sont déjà coincés par l’idée. Mais le découpage n’autorise pas la mise en scène à l’exploiter, pour prendre possession des espaces, pour se créer une marque (ce que le personnage cherche à faire).

Parce que la mise en scène est coincée, que le long-métrage n’a pas grand chose à offrir d’autres que l’écriture de ses deux héroines. Les seuls moments à la rigueur sympathiques, sont ces scènes où les deux protagonistes sont ensemble. Que ce soit dans le même plan ou en champ / contre-champ, elles créent une plus grande distanciation au fur et à mesure que le récit avance. Ainsi, le film crée une ambiance assez électrique, mais surtout désabusée. Chaque scène, chaque espace, deviennent la source d’un faux-semblant. Mais, à force de créer l’illusion pour arriver vers la déception facile, ou la frustration ardente (quelques fois trop rares), l’ambiance se calque elle-même. L’ambiance est linéaire, et il n’y a jamais de prise de risque d’en sortir.

C’est ce qui manque terriblement au film (au-delà d’un découpage plus travaillé) : des éclats, des changements radicaux, une liberté de ton. L’environnement des personnages est trop austère pour surprendre. La tragédie est présente dès le début, et continue à flotter au-dessus des héroines. Quand on note le mode de narration, ou même qu’on regarde le système de montage : il s’agit d’une boucle qui revient toujours à zéro. Après chaque situation « douloureuse » ou « dramatique », le film propose de ré-initialiser les relations entres les deux héroines. Sauf que la forme ne suit pas. Même si la narration permet d’effacer le passé et de se concentrer sur l’instant (en voulant préparer le futur), le montage n’a d’autres choix que de revenir sur le découpage oppressant. Les personnages sont alors coincés à jamais.

Tout comme les oreilles du spectateur, piégées par une bande originale accablante. Avec une abondance de musiques, on ne compte plus les moments où le film cherche à appuyer son ambiance déjà chargée d’oppression et de drame facile. Pire qu’un film hollywoodien à gros budget qui recherche le spectacle absolu, la bande originale arrive (à de multiples reprises) à gâcher l’effort effectué sur le texte. Je ne sais pas ce qu’on apprend ici (dans les écoles) et là avant de tourner et monter son premier long-métrage, mais la musique n’est pas un argument d’ambiance.

1.5 / 5
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