Le scandale Paradjanov

Réalisé par Serge Avedikian. Écrit par Olena Fetisova et Serge Avedikian. Avec Serge Avedikian, Yulia Peresild, Karen Badalov, Zaza Kashibadze, Yuri Vysotsky, Anton Yakovlev, Konstantin Voitenko, Victor Marvin. Arménie, Ukraine. 95 minutes. Sortie française le 7 Janvier 2015.

Voilà un biopic qui préfère l’évocation à la profondeur. L’exercice est davantage dans le style que dans le propos. Il y a les biopic qui s’intéressent à un moment de la vie de la personnalité, et les biopic qui retracent toute la vie d’une personnalité. LE SCANDALE PARADJANOV fait un mélange de ces deux catégories. Le film démarre avec Sergei Paradjanov adulte, et se poursuit selon la vieillissement de l’homme. Mais cette vie tient en 95 minutes ; Serge Avedikian et Olena Fetisova ont décidé de retracer la vie de l’artiste selon plusieurs périodes qui se démarquent. Une narration qui utilise bon nombre d’ellipses pour faire évoluer son intrigue.

Le grand saut

C’est surement le grand défaut du film, car ces ellipses cassent le rythme installé par chaque instant de vie. On passe trop rapidement, sans cohérence de fond ni de forme, d’un séjour en prison à la retraite de l’homme. Les ellipses du film veulent nous embarquer dans les moments forts de la vie de Sergei Paradjanov. Sauf qu’elles installent plutôt l’impression que ces moments forts sont des séquences qui fonctionnent en autonomie. Il n’y a pas d’enrobage qui tient l’ensemble dans un argument solide. Les changements de ton, d’ambiance et de rythme cassent toute participation possible à cette vie passionnante. Le grand écran fonctionne ici comme un témoin matériel infranchissable.

Ces ellipses provoquent également une frustration, celle où la mise en scène se fait diluer dans ce rythme, ces tons et ces ambiances désordonnés. A force d’entrer dans de nouvelles séquences autonomes, le film a du mal à imposer une idée de mise en scène concrète. La mise en scène de Avedikian et Fetisova ne suit jamais une unité, une constante qui leur permettrait d’avoir une approche précise de leur personnage. Parfois drôle, parfois tragique, parfois pénible, … le personnage Paradjanov montre plusieurs facettes qui ne se mélangent jamais. La séquence de la prison est profondément tragique et sombre, quand la séquence du début autour du piano est totalement burlesque. Mais ces idées de mise en scène n’arrivent que par petites touches, et ne marquent jamais leur empreinte jusqu’à la fin.

Délicat et enchanteur

C’est dommage car la mise en scène est relativement très inspirée. Comme dit dans les paragraphes précédents, l’ambiance a pour habitude de changer. Parfois dans la tendresse (un côté absurde, burlesque et dérisoire s’installe) ainsi que parfois dans le tragique (preuve d’humanisme dans le film, preuve de passion et admiration pour la personnalité présentée). L’ambiance alternant ces deux idées, le ton se veut plus radical ; même si parfois légèrement maladroit dans sa diction, le film reste délicat et bienveillant à propos du contexte qui entoure le personnage Paradjanov. Les problèmes auxquels celui-ci doit faire face ne sont pas trop développés ; il ne s’agit pas d’un film qui dénonce, mais d’un film de personnage. Tout ceci à travers un jeu sur les espaces : entre les lieux rêvés et décevants (Ukraine), puis les lieux inespérés mais apaisants (Arménie, France).

Ces espaces s’inscrivent dans une esthétique qui a beaucoup à proposer. Quand il s’agit d’inscrire le personnage Paradjanov dans une situation tragique ou dans une situation de tendresse, toute la passion envers l’artiste ressort. A tel point que Avedikian et Fetisova joue beaucoup sur la lumière. Dans ce film, les faisceaux de lumière et l’éclairage font ressurgir le travail effectué par Janusz Kaminski sur le LINCOLN de Spielberg. Toute la détermination et la grandeur de l’artiste nous sont offerts, peut importe la densité de l’espace dans lequel il se trouve. Serge Avedikian joue parfaitement un personnage Paradjanov qui se décolle des espaces, grâce à une esthétique qui attire le regard sur sa présence.

De plus, le film fait preuve d’une inspiration étonnante dans ses moments de burlesque, d’absurde et de dérisions. Avec des espaces à l’esthétique type « kitsch bricolo », Avedikian et Fetisova joue énormément sur le mélange des couleurs. Cela crée une sorte de rêve insensé qui nous propulse dans le fantasme du personnage Paradjanov ; une manière d’accentuer la tendresse du personnage, au milieu de la tragédie humaine. On n’est pas sans penser à Michel Gondry, avec son bricolage qui crée un univers aussi enchanteur que kitsch. A travers ces courts instants de « kitsch bricolo », LE SCANDALE PARADJANOV montre ainsi la magie de l’art.

Modestie admiratrice

Dans son découpage, le film reflète aussi cette magie qui s’imprègne dans l’évasion qu’offre l’art. Lors de ces séquences de « kitsch bricolo », la caméra est toujours en décalage avec l’important. Les angles de vue sont étranges et la focale semble jouer sur un détail insignifiant (une harpe, une porte, …). A côté de cela, un autre travail de découpage s’impose plus durablement lors de l’intrigue. Malgré la narration sous ellipses pénibles, le film adopte une même approche formelle. Suivant la passion et l’admiration qu’il a envers Sergei Paradjanov, Avedikian filme son personnage (donc lui-même) avec beaucoup de modestie. Les cadrages sont simplement corrects, sans excès. Il n’y a aucune recherche de surplus, à vouloir faire des merveilles. Pour éviter tout éloge ou misérabilisme facile, le découpage fait du classicisme un argument de modestie admiratrice. Des plans qui joue la carte de la poésie douce, subtile et pleine de bons sentiments humains.

3.5 / 5