Écrit et Réalisé par Hélène Cattet et Bruno Forzani. Avec Elsebeth Steentoft, Klaus Tange, Sam Louwyck, Jean-Michel Vovk, Anna d’Anmunzio. Durée 105 minutes. Belgique, France, Luxembourg. Sortie française le 12 Mars 2014.
<< Une femme disparaît. Son mari enquête sur les conditions étranges de sa disparition. L’a-t-elle quitté? Est-elle morte? Au fur et à mesure qu’il avance dans ses recherches, son appartement devient un gouffre d’où toute sortie paraît exclue… >>
Au moment où je paie ma place de cinéma au guichet, le jeune homme à la caisse me demande pourquoi je vais voir ce film. Est-ce par feeling ? Je lui répondis que oui, car l’affiche l’intriguait. Il faut dire que cette affiche n’a rien de commun. On ne voit pas une telle affiche tous les Mercredi. On se croirait devant une fresque.On comprend qu’une femme sera au coeur de l’intrigue, avec du sang et une approche au corps. Tout cela anime alors ma curiosité. Après avoir dévoré et adoré LES RENCONTRES D’APRES MINUIT de Yann Gonzalez en 2013, les couleurs de cette affiche m’attirent vers la salle de cinéma.
Dans la salle de cinéma, c’est la même chose pour les cinq autres spectateurs (oui, les amiénois préfèrent aller à Gaumont que découvrir des films rares dans une salle d’art et essai). La curiosité provoquée par l’affiche a remporté l’attirance de quelques spectateurs. C’est donc avec patience qu’on attend le début de la séance, jusqu’au générique de début. Ce générique qui met déjà dans l’ambiance : grosses lettres rouges et un son catapulté à des sommets de fréquences. On peut déjà se dire que l’affiche n’a pas menti. On est bien devant un film unique, qui propose autre chose que ce dont l’on peut voir tous les Mercredi.
Tout le film se portera ainsi. Dans la recherche des sensations provoquées par les sens. Dans un premier temps, la vue en prendra beaucoup. Le regard est dirigé, re-dirigé, éloigné, focalisé, trompé, etc… Les références des critiques vont bon train. On parle, par exemple, de Dario Argento. Dans son sens de redéfinir l’horreur de manière kitsch, avec toutes ses couleurs. Le duo Cattet et Forzani ne sont pas loin. Le mélange des couleurs nous entraine dans une sorte de fantasme de l’image. Le film est une plongée constante dans un cauchemar. Les couleurs font tout de même place, quelques fois, à des images en noir et blanc. Grâce au mélange des couleurs avec le N&B, mais surtout grâce au mixe de toutes les couleurs, le film sort de nombreuses ambiances différentes. A chaque nouvelle pièce, on a le droit à un nouvel univers. Le regard est alors amené à voyager entre toutes ces couleurs, pour chercher l’information, afin d’accompagner le protagoniste.
Dans cet accompagnement du protagoniste, le son aidera également. Les sensations viennent aussi de la bande sonore. Le mélange est parfait entre les sons d’ambiances les quelques musiques. Les sons d’ambiance sont quand même la priorité sonore du film. Ils sont tellement accentués, que l’ambiance et l’univers créés par l’image deviennent plus forts. Nos oreilles en prennent plein, et quelques fois, le son fait du hors-champ. Ce qui renforce l’expérience dans la salle obscure, puisque les sensations proviennent d’un endroit inconnu. De plus, il faut parler de la bande originale. Pas trop présente, mais suffisamment pour combler les endroits où les sons d’ambiances ne pourraient apporter un plus. Non pas créateur d’ambiance, la musique devient (dès sa première utilisation) le fruit des sensations des personnages. Des sensations qui se propagent hors de l’écran.
En effet, l’approche est telle que le duo Cattet/Forzani nous met à l’épreuve du cauchemar débuté. Dans chacun des mouvements du protagoniste, dans chacune de ses entrées dans une pièce, dans chacune de ses sensations, … la caméra fait en sorte d’être en sa compagnie. A chaque fois, la caméra traduit la proximité acteur/personnage. Cette manière d’utiliser le gros plan, le plan rapproché et les plans subjectifs : c’est pour en arriver à la création des sensations chez le spectateur. C’est dans cette approche que l’image manipulatrice du regard, et que le son accentué, viendront s’agencer pour que les sensations du protagoniste arrivent vers le spectateur. A noter que plusieurs plans en steadycam sont choisis pour améliorer cette recherche du transfert des sensations. Quelques plans d’ensemble viendront s’ajouter à ce découpage. Ainsi, une rythmique formelle se crée, mais surtout : les décors deviennent important.
Car les couleurs se traduisent aussi par les décors, et pas seulement par la lumière ou l’étalonnage effectué. La photographie permet de mettre en valeur certains points du travail de pré-production. La recherche des décors et des accessoires est simplement fascinante. Chaque accessoire a son importance. Car tout accessoire devient un détail suspect au déroulement de l’intrigue. Tout comme dans les décors : on parlait de fresque pour l’affiche. Le film contient de nombreuses fresques, peintures, sculptures. Toute une vision de l’art est exprimée dans ce film. Entre le kitsch, l’abstrait et la recherche des sensations.
Le montage de cette forme nous offre quelques répétitions. On revient régulièrement vers certains décors, vers certains accessoires, vers des couleurs vives, vers des éléments provoquant un son particulier. Finalement, on pourrait presque dire que ce film peut être considéré comme expérimental. Le montage n’indique jamais un chemin précis à suivre. Le film contient une vraie rythmique de montage. La progression du film, et donc de son intrigue, vient surtout de son montage. La succession de nombreux plans ne permet pas d’indiquer à quel niveau du récit nous sommes arrivés. Avant de donner une direction à leur intrigue, on sent que le duo Cattet/Forzani a la volonté d’expérimenter les sens primaires : la vue et l’ouïe. Comme s’il y avait une recherche de torture sensorielle, au même niveau que la torture physique infligée aux personnages.
Il faut dire que le fond du film n’est pas très vaste. L’intrigue se révèle être très simple, et pourrait avancer beaucoup plus rapidement (selon une approche formelle classique). Il y a cette façon de faire passer la forme avant le fond. Le texte se retrouve épuré, les dialogues ne viennent que pour faire avancer le protagoniste dans sa démarche. Les répliques du film font rarement mouche, et ne font pas faits pour rester dans les mémoires. Les lignes de dialogues viennent appuyer l’avancée de l’intrigue. Sinon, l’approche expérimentale ne pourrait jamais voir de fin.
Le film, dans sa manière d’épurer le texte dialogué, permet d’aller toucher plusieurs genres. Le duo Cattet/Forzani s’offrent le luxe de s’approprier plusieurs codes de genres. Dans les directions formelles prises, on pourrait penser à plusieurs réalisateurs : David Lynch, Luis Bunuel, Peter Greenaway, etc… Dans la peinture, on pourrait mentionner le grand ami de Bunuel, alias Salvador Dali. Il y a, dans le film de Cattet & Forzani, comme un point surréaliste et pourtant expérimental. Le film va souvent changer de ton, pour mieux dérouler ses possibilités esthétiques et sonores. La multitude des expérimentations esthétiques et sonores viennent de là : le film va du drame intimiste vers le thriller, et surtout de l’horreur vers le fantastique. Et vice-versa. Il y a constamment ces détours de genres, qui permettent de rythmer le film de nombreuses manières. A chaque changement de direction, va son ambiance si particulière et appuyée.
Qui a dit qu’en France, ou même en Belgique, nous n’avons pas les moyens de faire de grandes propositions esthétiques ou sonores ? Le jeune Xavier Dolan le disait si bien au Festival de Cannes 2014 : « Il n’y a pas de limite à nos ambitions, sauf celles que nous nous fixons. Je pense que tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais. ». Ce film en est bien la preuve. Tout comme le film de Yann Gonzalez en 2013, enfin un film qui ose. Et rien que pour cela et l’expérience sensorielle qu’il propose, le Cinéma n’a pas dit son dernier mot.
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