Écrit et Réalisé par Mike Leigh. Avec Timothy Spall, Roger Ashton-Griffiths, Jamie Thomas King, Lesley Manville, Karina Hernandez. Grande-Bretagne. 150 minutes. Sortie le 3 décembre 2014.
Comment interpréter un peintre reconnu ? Telle est la question pour un acteur. On pourrait comparer le travail de préparation d’un acteur à un travail de recherche théorique pour un essai. Le peintre Turner est davantage une personnalité qu’une personne familière. Le film le prouve assez bien. C’est ainsi qu’un film sur le peintre Turner ne peut se permettre de dérouler toute sa vie. Mike Leigh capte donc une chronique de la vie du peintre, interprété par le récompensé Timothy Spall. Ce qui fait la marque de fabrique du personnage (on parle bien ici de la représentation faite du peintre par les idées de Leigh et la prestation de Spall) sont ses traits physiques. De son ventre arrondi, de sa bouche digne d’une gueule de bulldog, de ses cheveux pas très entretenus, de sa gestuelle grandiloquente mais brusque, etc… Timothy Spall incarne là un peintre comme un ours en peluche sûr de soi, mais qu’il faut protéger. Comme un artiste comme il en n’existe plus qu’il faut couver d’éloges pour qu’il puisse continuer à grandir (souvenons-nous du câlin entre le père Turner le fils peintre).
Ces traits physiques est l’argument de base d’un ton bien précis. Mike Leigh n’est pas un cinéaste de n’importe quelle nation. Il est un cinéaste britannique, là où le cinéma est reconnu pour son union sacrée et son rapprochement socio-politique. Quand Mike Leigh filme Timothy Spall, c’est surtout un personnage qui navigue dans les eaux troubles de la société britannique. Peut importe qu’elle soit de l’époque ou contemporaine, les cinéastes britanniques ont toujours eu quelque chose à dire de leur nation. Ici, il s’agit plutôt d’une tragédie encré british. La tragédie d’un homme solitaire qui vit de sa passion, et qui se présente comme un anti-héros. Toujours modeste, le personnage du peintre Turner montre un recul par rapport à sa notoriété. Vivant dans le désespoir de la solitude, la tragédie du personnage est celle qu’autrui ne voit que l’artiste, davantage que l’humain
Mais cette tragédie humaine type british ne laisse pas échapper le discours sur l’art. Enfin, il serait plus convenable de parler d’approche sur l’art. Car Mike Leigh, à travers Timothy Spall et le peintre Turner, part dans une exploration de l’art. De deux manières, le cinéaste se permet de voir l’art comme un élément de réunion collective avant tout. Comme ce qui rassemble des idées socio-politiques différentes autour d’une passion commune. D’un autre côté, Mike Leigh part à l’assaut de l’art. Le cinéaste se saisit des oeuvres de l’époque pour en retracer tout une période glorieuse de la peinture britannique. De plus, Mike Leigh part à la conquête de la peinture pour en livrer un nouveau point de vue. Par les différents personnages secondaires présents autour des oeuvres, le cinéaste démontre à quel point l’art est une passion subjective, aucunement vouée à l’universalité, mais bien au ressenti d’un instantané. De cette façon, Timothy Spall est le vecteur transitoire parfait entre l’art et la pensée commune.
Ce biopic ne doit pas se voir comme un biopic pur et dur. Mike Leigh n’a clairement pas cette ambition, sinon il ferait du pied à Olivier Dahan. Le cinéaste britannique porte également une autre partie du ton typiquement british. L’absurdité fait sa partie dans le film. Avec plusieurs touches d’humour, Mike Leigh ne porte pas un regard sérieux sur son sujet. Il s’amuse de son exploration de l’art, et prend plaisir à filmer le grand côté nounours du personnage peintre Turner. Dans tous ces moments, la caméra est posée et le cinéaste laisse faire les acteurs. La scène se déroule tel un beau petit conte où les bouleversements sont très épurés. L’idéal est de se laisser porter par la bride de vie du peintre Turner, et de se permettre d’en sourire. Ce qui permet de se prendre au jeu de l’absurdité, c’est le jeu de Timothy Spall. Le côté humain de la tragédie british ressort à chaque séquence. En effet, le peintre Turner grogne souvent, laisse ses pulsions le contrôler, sait se faire discret dans des postures improbables, se déplace tel un dandy qui a bien trop mangé de saucissons, etc…
Les déplacements du personnage peintre Turner sont tout de même contrôlés par une esthétique rigoureuse. L’ambiance est à la contemplation, l’univers se veut un mélange de photographie picturale et de cinéma. Le Cinéma permet cette magie de voir des personnages trainer dans une esthétique qui leur sont propres. Ainsi, Mike Leigh ne va pas chercher bien loin. Il adapte l’esthétique de son film au style esthétique des oeuvres du peintre Turner. Même si la forme picturale du film est laissée entendre dès le premier plan, elle se retrouve prise dans une uniformité facile à confondre. Les détails se font dans tous les éléments cités précédemment : ce qui distingue la patte Leigh à une simple forme picturale élogieuse.
Parlons plus précisément de cette esthétique : il y a comme un point de départ et un point d’arrivée dans la forme picturale. Mais ce système se présente dans un cycle infini. Dans chaque séquence, on revient du point de départ au point d’arrivée. Comme si chaque séquence se démarque par son enjeu formel vis-à-vis du personnage peintre Turner. En effet, l’esthétique démarre souvent comme l’aube d’une journée. Les couleurs sont éclatantes, la lumière envahit le plan. Ceci jusqu’à ce que la tragédie british prenne le dessus, et change progressivement le ton esthétique du moment. L’esthétique se dirige petit à petit vers un crépuscule, celui de la menace cachée, du côté sombre de l’humain, de l’incertitude d’un acte ou même de la dramatisation de la perte d’un proche. Le personnage peintre Turner est capté dans un hommage qui transcende sa notoriété d’artiste et bouleverse sa partie humaine.
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