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Écrit et Réalisé par Nabil Ayouch. Avec Loubna Abidar, Asmaa Lazrak, Halima Karamouane, Sara Elmhamdi-Elalaoui, Abdellah Didane, Danny Boushebel. Maroc. 105 minutes. Sortie française le 16 Septembre 2015.

Nabil Ayouch porte une nouvelle fois un regard sur la société marocaine. Le film peut se voir comme un portrait sociétal, mettant en lumière des jeunes demoiselles dépourvues de moyens. La pauvreté du peuple, face aux plus riches, est explorée. Ce qui est dommage, c’est que le long-métrage privilégie la question financière que les mœurs. L’enfance, la famille séparée, l’homosexualité, la corruption, … sont tant d’éléments sous-exploités. Si bien qu’ils interviennent que pendant une ou deux scènes maximum, tels des suggestions. La peur de la censure ? Ca ne devrait pas, le film dénonce déjà la société.

Ce portrait de la société marocaine se focalise sur trois, puis quatre jeunes femmes, qui sont obligées de se prostituer pour subvenir à leurs besoins (la nourriture et la famille, surtout). Dans l’esthétique, on pourrait aisément croire que le film a eu des recherches documentaires. Quelques intentions formelles montrent une frontalité totale vis-à-vis des personnages. Le cinéaste n’hésite pas à mélanger des instants cruels avec des instants intimes. Ainsi, l’esthétique de son long-métrage varie selon le ton de la séquence. Tout comme son découpage, qui se substitue à l’esthétique. Selon l’apport dramatique (ou comique) d’une situation, la caméra captera plus ou moins de lumière et de couleurs (voir les moments dans le lit opposées à ces passages avec les saoudiens). Malgré cette diversité des esthétiques, elles restent minimales car le film cherche le naturalisme.

Cette ambiance a des répercussions immédiates sur la mise en scène. Notamment sur l’utilisation des espaces. La pluralité des lieux annonce la variété des émotions que les personnages vont éprouver. Le palace majestueux où elles voient plusieurs fois les saoudiens (leur lieu de travail), la rue austère, la maison de la famille vide, … Tous ces espaces renvoient au même : l’appartement où vivent les jeunes femmes. Ce logement où elles peuvent redevenir elles-mêmes, où elles rêvent, où elles sont complices, … Bien que le film résulte d’un retour constant dans cet appartement (une forme de rappel incessant des fantasmes des personnages), il y a cette nette opposition entre le chez soi (l’intérieur amusant et rêveur) et l’extérieur (la dure réalité).

Le soucis de cette opposition, c’est le manque de sensations. A force d’utiliser ces jeunes femmes comme le doigt pointant la société marocaine, le long-métrage forge les émotions à l’extrême. Les scènes dans l’appartement des protagonistes sont courtes, et comportent beaucoup d’ellipses. Cela ne laisse pas le temps aux rêves de s’éclaircir, à la complicité d’être contemplée, au soi d’exulter véritablement. Quelques fois, il y a de l’hystérie et des rires. Mais cela ne dure qu’un petit temps, bien trop court comparé à ceux durant le travail. Le film se concentre davantage sur le factuel émotionnel que sur l’intimité sensorielle.

C’est, en partie, aussi la faute du script. Bien que les actrices semblent habitées par leur personnages, ceux-là mêmes ne sont pas très développé. Toutes les substances personnelles filmées sont creuses, il manque alors un élan pour porter ces jeunes femmes vers les sensations. Bien qu’attachantes à plusieurs reprises (surtout grâce à la variété des tons), la mise en scène révèle des scènes assez identiques. Les corps n’ont qu’un seul bagage pour les attitudes, et les visages s’en retrouvent coincés. Parfois, il est même possible d’entrevoir un incessant aller-retour répétitif entre les espaces. Presque comme une errance dans la société, car les personnalités seraient dépossédées.

Si ces jeunes femmes ne peuvent plus être elles-mêmes, alors le film consiste à leur redonner une dignité. Il faut voir comment le cadre les captent avec amour. La frontalité de certains passages sait laisser place à un respect total, où la caméra embrasse la douceur des corps. En sachant alterner les échelles de plans et les points de vue, le long-métrage crée une esthétique qui fait scintiller les corps sous plusieurs tons. L’ombre de la tragédie pour l’empathie, et l’excès de couleurs pour l’énergie débordante des protagonistes. Parce que ce qui compte dans toutes ces séquences, c’est la place de la femme au sein de cette société. Et l’esthétique lui redonne foi et pouvoir.

A côté de cela, il y a un montage très équilibré. Rythmé entre l’énergie des personnages et l’amour du cadre, le long-métrage virevolte entre la dénonciation et la dignité. En quelque sorte, le montage donne un double rôle à ces jeunes femmes. Elles sont à la fois le doigt qui dénonce la société qui constitue leur environnement. Et sont aussi cette vague aussi belle que fougueuse, qui remporte tout l’honneur d’une réalité malade. Le découpage laisse peu de place aux vêtements, et n’y accorde que peu d’importance. Les visages, le corps en action, et les rapprochements entre personnages, sont les éléments que le montage met en valeur. La dignité au sein de la décadence.

3 / 5
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