Port Authority

Grande surprise avec le premier film de Danielle Lessovitz, qui nous invite tout au long du film à aimer, rêver et se trouver soi-même. La cinéaste crée un vrai chemin pour son protagoniste Paul, qui se révèle être le parfait écho de la caméra, et donc du regard de la cinéaste. Dans une narration assez fragile mais qui ne bascule pas grâce à toute la passion du regard, PORT AUTHORITY confronte deux univers opposés par l’intermédiaire de Paul. Le regard est donc au centre, permettant de s’incruster dans les deux univers à tout de rôle, jusqu’à ce qu’ils se croisent dans une scène violente pourtant impressionnante de maîtrise où la mise en scène ne cède pas à la folie. Les deux univers sont celui incarné par Lee, jeune homme douteux et pas très sympathique dont le quotidien est très trouble et contestable, et celui incarné par Wye, qui fait partie d’une communauté LGBT adepte du voguing et des bals travestis aux comportements très théâtraux et joyeux.

Pour incarner ces voyages entre les deux univers, Danielle Lessovitz adopte une mise en scène qui alterne entre la rudesse de certains corps (univers de Lee) et la sensorialité des autres (univers de Wye). Toutefois, la cinéaste réussit à ce que toute mise en scène fasse preuve de fougue, tellement les corps sont passionnés et déterminés à faire exister leur univers. En dehors de cela, les approches de Paul sont toujours sensorielles et douces, car il cherche des points d’appui dans chaque univers. Grâce à sa mise en scène plurielle, la cinéaste nous fait naviguer entre de multiples tons, pour que le regard et les corps triomphent toujours dans les interactions. Même avec ses cadres, Danielle Lessovitz se concentre principalement sur les corps et leurs mouvements. A distance du flou en arrière-plan, manière de se distancer du quotidien banal du hors-champ où Paul ne s’aventure jamais, le cadre instaure un voyage intime où le corps transcende le cadre en y dépassent même parfois les limites. Une belle manière de montrer comment le corps finit toujours par gagner, même s’il demande à recevoir des coups.

Malgré cela, la caméra fait preuve d’un cruel manque d’énergie et d’âme dans les moments les plus graves et dramatiques (comme les ruptures, mais surtout plusieurs attitudes douteuses dans l’univers de Lee), où tout est filmé presque aussi calmement que lors des regards sensoriels. L’esthétique manque tout de même de nuance dans sa gestion des ambiances, où le regard externe de Paul semble en permanence non concerné. Il est possible d’y voir l’impuissance de Paul, mais le regard externe possède tellement de curiosité, que les moments les plus graves et tragiques auraient mérité un cadre beaucoup moins à distance. Cela vaut également pour la plupart des espaces filmés, tous très découpés et ciselés au montage. Alors que le film se dote de très nombreux plans serrés, les espaces ont souvent du mal à respirer dans cet acheminement de joie et de tragédie entre les deux univers. La curiosité est malheureusement prisonnière d’un regard très recroquevillé.

Pourtant, Danielle Lessovitz réussit à transmettre une idée de l’initiation sociale, celle où Paul apprend à s’intégrer mais surtout où il trouve des attaches vers autrui. C’est une initiation des corps vers l’autre, vers l’inconnu, afin d’en révéler toute la beauté insoupçonnée ou le danger dissimulé. Il s’agit d’un regard très curieux sur les espaces composant les deux univers, un regard externe mais très curieux, égaré mais très lyrique, comme si Paul (et donc la caméra) sont envoûtés par les deux univers à la fois. Tout simplement parce que, grâce notamment à la photographie somptueuse et la mise en scène transcendante des corps, les espaces sont remplis d’imagination, d’amour, de corps en mouvements, de dangers et d’émotions instantanées. PORT AUTHORITY est un film où l’espace a multiples visages, même s’ils ont du mal à respirer dans le cadre, avec tout l’envoûtement du danger et de l’imagination créé par la curiosité et l’amour.


PORT AUTHORITY
Écrit et Réalisé par Danielle Lessovitz
Avec Fionn Whitehead, Leyna Bloom, McCaul Lombardi, Louisa Krause, Will Dufault, Stephen Cavalieri, Devon Carpenter
États-Unis, France
1h34
25 Septembre 2019

3.5 / 5