Il faut être clair dès le début : le film DOWNTON ABBEY n’est pas une adaptation de la série du même nom. Il s’agit bien d’une suite, aux intrigues qui ont terminé la fin de la Saison 6. Et même si le secret a bien été gardé, il semblerait que ce film est prévu depuis la fin de la série en 2015 (selon des paroles de Michelle Dockery à la télévision). Maintenant, on peut même s’interroger sur un second film. Non pas une suite, car cela n’aurait aucun sens. Mais le mystère d’une nouvelle intrigue est entier, car le film ouvre de nombreuses portes sur l’avenir des personnages – comme le dit si bien l’ancien majordome Carson (Jim Carter) : « la famille Crawley et Downton Abbey seront encore là dans cent ans » – puis avec des arcs narratifs non pas conclus, mais qui restent très ouverts à des évolutions.
Dès les premiers plans, Michael Engler et Julian Fellowes nous font comprendre que nous avions tous quitté Downton Abbey et la famille Crawley il y a quelques années. Ainsi, ils utilisent un moyen très simple et pourtant très familier et récurrent à la série pour revenir au château : le motard qui apporte le courrier à la porte des employés. Et grâce au parcours d’une lettre, que l’on suit pas à pas grâce à la caméra, le château nommé Highclere Castle va s’élever dans l’arrière-plan grâce au mouvement de la caméra. De cette manière, tout ce que l’on aime de la série se réveille et ressurgit une nouvelle fois. Ce n’est donc pas un mouvement nostalgique, mais un mouvement de réveil / de réactivation. Alors que le film arrive quatre ans après la fin de la série, le récit reprend seulement 18 mois après la fin de la série.
C’est là que le film tient toute sa force dans le récit, car celui-ci est purement conçu et narré comme un traditionnel épisode spécial de Noël que l’on connaissait dans la série. Sauf que celui-ci dure deux heures, et offre à chaque personnage un arc dramaturgique. Michael Engler et Julian Fellowes font de DOWNTON ABBEY un film choral, c’est incontestable. Mais un film choral qui n’existe pas pour développer des tas de mini-récits qui se croisent, mais pour célébrer chaque personnage à leur manière, avec leur personnalité / leur rôle au sein de cette mini-société / leur évolution depuis la fin de la série. Avec la grande visite surprise que reçoivent les Crawley dans leur domaine, le chaos va rapidement s’installer à la fois pour les « upstairs » (les Crawley) et les « downstairs » (les employé-e-s). Cela révélera un ton entre la dramaturgie et l’humour. Parce que Julian Fellowes n’a rien perdu de son écriture très nuancée et variée, et Michael Engler n’a rien perdu de son esthétique très propre laissant les personnages se nourrir des espaces et des décors.
DOWNTON ABBEY est comme un feel-good movie, sans en être totalement un. Il y a le mélange de dramaturgie et d’humour caractéristiques au genre, mais le film n’a pas vocation à ne créer qu’un moment joyeux et divertissant. Julian Fellowes et Michael Engler y insèrent à nouveau de nombreux enjeux pour les personnages, mais aussi pour le paysage qu’est le domaine Downton Abbey. Loin d’être une redite de GOSFORD PARK, qui été déjà écrit par Julian Fellowes avant qu’il ne commence la série DOWNTON ABBEY, le film est une suite fluide, cohérente et très solide. Évitant aussi d’être constamment dans le fan-service, Julian Fellowes et Michael Engler reprennent les formes qui ont fait le succès de la série. Bien au-delà du travail incroyable de reconstitution décoratif des années 1920, au-delà de l’étonnante variété de costumes, même la musique est identique. Ce n’est aucunement un défaut, c’est même la très bonne idée qui donne au film une impression que ce n’était pas réellement terminé. À aucun moment Julian Fellowes et Michael Engler ne donnent l’impression que la franchise a pu se terminer.
Encore une fois, chaque plan est un plaisir immense qui nous rappelle que la série se situe dans cette lignée où la télévision et le cinéma se tutoient pour ne former qu’une seule ambition esthétique. Avec le film DOWNTON ABBEY, on comprend encore mieux que la série avait déjà des ambitions cinématographiques dans son esthétique et ses narrations. Chaque plan, chaque scène, chaque mouvement de caméra est une manière de prendre le temps de décortiquer les espaces et les mouvements – entre transmissions, humours, drames, amours, … Le film célèbre aussi bien ses personnages (sans exception) que l’espace même. Au-delà d’être une lettre d’amour aux personnages, le film est également un message d’amour au Highclere Castle et à l’époque des années 1920. La beauté des images n’a d’égal que l’élégance, la richesse intime et le rayonnement des personnages. Les nombreux plans larges et les plans-séquences décortiquent, mais servent aussi à montrer la combinaison parfaite entre les personnages et l’espace.
Parce qu’au final, le film DOWNTON ABBEY contient un seul noyau qui sert de croisement entre tous les arcs narratifs : le domaine Downton Abbey. Il est question de transmissions, d’avenir incertain, de réminiscences du passé, de réflexion sur la condition sociale privilégiée, etc. Entre les grandes lignes écrites pour continuer à développer et faire évoluer chaque personnage, il se trame un petit regard sur la situation actuelle du Royaume-Uni avec le Brexit. Michael Engler continue à mettre en images la volupté et la somptuosité d’une vie aristocratique, tandis que le récit et certains mouvements de corps définissent une vision sociale qui semble être progressivement hors de portée. Même la société fait clairement voir qu’elle est toujours politiquement et socialement sûre d’elle, tout dans le film laisse entrevoir que le changement social commence. Comme si la mise en scène avait lâché une petite bombe dans chaque pièce où se trouve les personnages, sans savoir les impacts possibles, mais que la célébration des personnages et la volupté de l’esthétique permettent de créer l’union pour que chaque mouvement séparé converge finalement vers la plus grande des sensations : l’amour. DOWNTON ABBEY le film est comme un feel-good movie qui réconforte les britanniques à l’aube du Brexit, leur offrant sans limite des valeurs et un mode de vie auxquels se raccrocher. Au fond, le premier plan du Highclere Castle au début du film, ne serait-ce pas plutôt l’assurance qu’il vit encore pleinement, plutôt qu’un réveil ?
DOWNTON ABBEY
Réalisé par Michael Engler
Scénario de Julian Fellowes
Avec Mark Addy, Hugh Bonneville, Laura Carmichael, Jim Carter, Brendan Coyle, Raquel Cassidy, Michelle Dockery, Kevin Doyle, Michael Fox, Joanne Froggatt, Matthew Goode, Harry Hadden-Patton, David Haig, Rob James-Collier, Allen Leech, Phyllis Logan, Elizabeth McGovern, Sophie McShera, Tuppence Middleton, Lesley Nicol, Maggie Smith, Imelda Staunton, Charlie Watson, Penelope Wilton
Royaume-Uni
2h02
25 Septembre 2019