Écrit et Réalisé par Peter Greenaway. Avec Elmer Back, Stelio Savante, Lisa Owen, Maya Zapata, Luis Alberti, Jakob Ohrman, Rasmus Slatis, Raino Ranta. Pays-Bas/Mexique. 105 minutes. Sortie française le 8 Juillet 2015.
Peter Greenaway est connu pour son excès de couleurs, pour une vulgarisation de ses idées, et de pousser à bout ses personnages. Il faut se souvenir de cette scène de repas dans LE CUISINIER, LE VOLEUR, SA FEMME ET SON AMANT où Michael Gambon s’empiffrait plusieurs bouchées à la fois. Le cinéaste britannique est un esthète avant tout. Et comme à son habitude, il expérimente la forme (et donc la technique), dans laquelle il pourra pousser sa mise en scène à l’extrême. Sa virtuosité ne fait plus aucun doute, tant elle est à contribution de ses protagonistes, qui se fondent dans le décor.
Exactement comme ces scènes de sexe. La toute première est étirée, pour mieux amener le jeu d’acteur dans ses retranchements. Aucune limite n’est fixée, et la scène peut devenir un acte d’obsession sexuelle (de la part du cinéaste). Notamment dans les changements d’échelles, où la scène démarre en plans serrés sur les acteurs. La souffrance se mêle au blabla de l’un des amants. Puis, la caméra sera plus en recul, pour cadrer un plan large. Une fois la douleur passée, c’est l’observation / la contemplation du geste sexuel. Déroutant pour certains, c’est le but. Car tout le film débordera d’excentricité. Telle cette scène de rendez-vous au lever du lit, où Eisenstein accueille ses interlocuteurs avec une simple chemise (laissant le penis à l’air). La caméra tournera sans s’interrompre, pour accentuer toute la folie qui ressort du protagoniste. A chaque auto-satisfaction de la part du protagoniste, la caméra fait en sorte d’être dans une position dynamique, pour augmenter l’effet d’excentricité.
En parallèle de l’excentricité, et rarement en même temps, il y a la question de la mort. La Russie (et surtout Moscou) se transforme, de manière suggestive par la parole, comme l’enfer. Puis, le Mexique (et surtout Guanajuato) se présente comme le paradis. Mais c’est un lieu qui engloutit complètement Eisenstein. Au point de ne jamais pouvoir le relâcher. Et ce nouveau territoire, auquel le protagoniste se livre complètement, est l’endroit où il va se dévoiler. Le personnage confirme (dans le sens où il les transformera en actes) ses désirs progressivement. Ceci l’entrainera à l’excentricité, mais surtout vers l’irresponsabilité. Avec les longs mouvements de caméra, souvent paraissant interminables, et toutes les couleurs accentuées : Eisenstein est au bord de la mort. Ce sont des instants endiablés, où il parait être acheminé dans un tourbillon de plaisir (qui serait l’équivalent du péché, de la mort).
Avec tous ces mouvements de caméra et ces jeux de couleurs, Peter Greenaway réfléchit à l’agencement des espaces. Comme, par exemple, la façon dont il doit se faire succéder des plans de danse et un plan de coup de fil intime. C’est là que l’esthétique va surtout se prononcer dans le montage (c’est notamment le point fort de la virtuosité du cinéaste). Avec son découpage à la fois dynamique (excentricité, mort) et intimiste (plans fixes serrés), le réalisateur britannique peut composer une esthétique unique. Celle d’un paradis perdu, où Guanajuato devient un territoire graphique avec de nombreuses possibilités. Tel un dîner en hauteur, qui devient l’emplacement d’un récit fantasmagorique, car la caméra tourne continuellement et profite des quelques couleurs rayonnant dans la ville. C’est en agençant plusieurs plans aux couleurs proches (voire similaires, quelques fois), que le film arrive à livrer une esthétique mêlant ce paradis perdu et son protagoniste à la personnalité débordante.
Et justement, Eisenstein est dans ce film un élément étranger à ce paradis perdu. Il fallait pourtant l’intégrer le plus possible dans ce décor excentrique et endiablé. L’incrustation du corps de Elmer Back dans le décor est particulière. Car elle ne s’adapte pas au cadre, au découpage. Mais son corps se concentre sur la mise en scène. Le cadre n’est qu’un ajout à la mise en scène, permettant d’offrir l’esthétique. En parallèle, Eisenstein savoure une liberté dans la scénographie. Ses déplacements sont tels un félin en cage : il cherche sa place tout en étant satisfait de sa posture. Son costume blanc lui permet également une parfaite synchronisation avec le décor, il n’est jamais en marge de celui-ci. Il y a toujours un bon moment, un instant précis, pour lequel il arrive à un endroit précis.
Cette idée de mise en scène est portée par la musique. Mais ce n’est pas la seule fonction de la bande originale. Elle n’est pas un ajout de sensation, pour combler un manque de rythme. Au contraire, elle est en parfaite harmonie avec le montage. L’agencement des plans permet d’offrir une place à la musique. Avec ses musiques parfois pop, parfois rock et une symphonie qui s’impose (je vous laisse découvrir laquelle), le film se livre à une idée de métamorphose. La bande originale sonne comme un argument de vitalité, d’évidence et de substance autonome dans l’idéal de corps en pleine incrustation. Les sons traduisent une sensation, une émotion ou même un emballement du montage.
Sauf que, parfois, l’outrance de Peter Greenaway enlace trop fort l’extrême. Dans un tel cinéma libre, à la recherche de l’expérimentation, il y a un duel permanent. D’abord, celui entre la crudité et le lyrisme. L’excentricité apporter la folie, mais elle est trop étirée et trop provoquée au débordement (comme ce moment où Einsenstein parle à son pénis sous la douche…). Puis, il y a un duel entre les vulgarités et le verbal soutenu. Il y a cette volonté de marier les deux, pour en justifier la personnalité du protagoniste. Mais quand l’un de ces deux modes de paroles arrive, c’est trop marqué dans la durée. Le cinéma libre ne peut se justifier par l’outrance ou la retenue, il doit se traduire par le contrôle équilibré (et parfois suggestif, pour laisser des portes ouvertes) des choix effectués tout en proposant des expérimentations.
4 / 5