Il existe encore des réalisateurs complètement frappés du ciboulot, dingue dans leur tête et qui pourtant nous sortent du vrai cinéma. Entendez par là des films bâtis sur des incompréhensions totales, et pourtant parfaitement lisibles, avec une histoire qui avance, des rebondissements et du suspense. Quentin Dupieux, aka Mr Oizo pour les mélomanes, était déjà coupable de Steak, ode moderne avec Eric & Ramzy. Le voici récidivant avec bonheur avec un casting bien moins connu : un pneu.
Oui, Rubber est l’histoire d’un pneu. Un morceau de plastique rond, noir et sale qui se promène dans le désert. Et pourtant, de cet état de fait complètement absurde, son réalisateur nous offre un film solide et plein d’ingéniosité, incrustant en fond un véritable jeu de miroir sur le monde du cinéma. Incorporant son public (une dizaine de personnes armées de jumelles, positionnées dans le désert), donnant une vraie existence à des acteurs qui peuvent s’exprimer face caméra, ou encore revenant sur son histoire à son bon vouloir, Dupieux réinvente le cinéma communicatif, transcendant sans grande difficulté la barrière de l’écran. Rubber n’est pas forcément extraordinaire (dans un genre moins azimuté, on retrouve la même chose dans les Clefs de Bagnole de Laurent Baffie), mais se positionne avec une vraie volonté de faire vivre le film de l’intérieur. Vous ne serez pas simplement spectateurs, mais en quelque sorte pris doucement en otage de son histoire.
Ce pneu va vivre effectivement un vrai destin. Réveillé seul au milieu du désert, il va s’aventurer au sein de la civilisation, croisant des humains ou des êtres vivants de toute sorte, et surtout explosant beaucoup de choses. Se permettant donc quelques bravades scénaristiques, Dupieux transforme un simple objet en missionnaire évangélique, explosant à tout va ce qui ne lui va pas, au grand dam des autres acteurs, et à la curiosité des spectateurs. Pour finalement transformer cette étrange idée en nouvelle apocalypse. Pleins d’idées, interférant avec son groupe de « spectateurs test », ou avec la salle directement, Dupieux a construit un film à la manière d’une partie de ping pong, renvoyant la balle à chaque scène sur les différents acteurs du récit, y compris vous même. Comme quoi l’absurde peut devenir réel, et être sublimé. On a beau parlé d’un pneu, s’en est presque beau.
Finalement il n’y a rien de surprenant venant de Dupieux, tant on sent la préparation en amont d’un tel film. Tout est calculé, tout est planifié pour entrer dans son univers, et s’il avait déjà embarqué deux vedettes comiques pour ce qui reste leur meilleur film (avis perso), Quentin Dupieux se promet à de grandes choses. Espérons qu’il conserve sa touche unique, et ses idées insensées. ça fait du bien, un peu de folie créatrice.
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