Shorta, de Frederik Louis Hviid & Anders Olholm

Le point de départ est un fait divers, traité comme une chronique. Un adolescent meurt des suites de blessures mortelles lors d’une garde à vue. La police de Copenhaegue est donc ciblée par les polémiques, si bien qu’une révolte commence dans une banlieue de la capitale danoise. La tension et la violence s’accroissent lorsque deux policiers, Jens et Mike, y vont en patrouille. Alors que les deux policiers ne sont pas d’accord sur tout : la méthode, le relationnel, les valeurs (etc), ils sont pris directement pour cible par les jeunes de la banlieue. Alors que le début de SHORTA est une chronique où la police s’organise dans son quotidien et patrouille, il devient rapidement un survival. Parce que Jens et Mike sont en plein cœur des émeutes, et sont pris en chasse par de nombreux jeunes qui veulent en découdre physiquement. Le récit prend le point de vue des policiers, qui doivent réussir à quitter le quartier alors qu’ils sont menacés de toute part, dans une envie de vengeance qui émane de chaque recoin.

La mise en scène de l’espace est très importante dans ce film. Les rues, les parkings, les petites cours, même les halls d’entrée d’immeubles, sont autant de lieux qui se conjuguent à la violence du sujet. Dès le début, le hors-champ est une angoisse permanente. Que ce soit dans le travail sur les regards, ou dans des champs / contre-champs, voire même dans l’utilisation de légers travellings, le cadre distingue bien que les deux policiers sont dans un espace qu’ils ne peuvent pas totalement contrôler. Dans ce travail de mise en scène, il est indiqué qu’il y a un cadre pour les policiers, et un cadre pour le hors-champ des gens qui vivent dans cette banlieue. Si un cadre empiète sur l’autre, c’est le basculement. Évidemment, les deux vont se rencontrer. Petit à petit, un cadre va être envahi par l’autre. À partir de cela, les cinéastes ouvrent l’espace. Plus le paysage s’ouvre, plus la tension et l’angoisse augmentent. De cette manière, SHORTA saisit la propagation de la violence dans un espace, dans un espace déjà quelque peu chaotique. S’il est déjà dans cet état, c’est parce que le cadre montre un espace presque désert, avec même des petits commerces qui vivent dans la crainte, où les mouvements se font rares. La mise en scène de l’espace montre donc une propagation de la violence dans un espace presque sans vie.

Cette violence peut même prendre plusieurs formes. Si la mise en scène montre autant de chaos, c’est parce qu’elle apporte plusieurs nuances. L’angoisse et la violence ne s’appliquent pas que sur les deux policiers. Elle s’applique aussi sur les adolescents qui cherchent à se venger. Les cinéastes montrent que la violence provient des deux côtés, de chaque cadre. C’est parce que le champ et le contrechamp se rencontrent, entrent en collision, que le film peut étudier toute forme de violence peu importe d’où elle provient. Ainsi, aucune violence n’est légitimée, elles sont toutes questionnées. Avec cette collision entre les deux cadres, c’est est un basculement vers le primitif, vers la sauvagerie. Malgré la différence de personnalité et d’approche entre les deux policiers, le chaos s’empare de chaque personnage et de chaque corps. Comme si, au-delà d’être coincés dans cette banlieue, les deux policiers sont aussi coincés dans cette violence permanente. Ils n’ont plus leur propre cadre pour se sauver, ils sont dépendants d’un cadre qui leur échappe. SHORTA poursuit son chemin vers d’autres ruptures de tons. Les deux policiers ne courent pas seulement après les adolescents qui veulent se venger (et même inversement), chaque personnage court après un encadrement. Les personnages cherchent à prendre le dessus, certes. Mais surtout, ils cherchent à faire rentrer le camp adverse dans son propre cadre, pour parvenir à une maîtrise totale.

C’est pour cela que les espaces s’ouvrent autant dans le cadre. Au point même que le film se dirige petit à petit vers des marques d’horreur, avec une photographie de plus en plus sombre, et des espaces fermés. Ces marqueurs sont de plus en plus nombreux, comme des ruelles étroites, des toilettes dégradées, un commerce isolé, une voiture qui se fait détruire, et parfois des lumières plus vives. Si les marques de l’horreur approchent, c’est pour mieux amener les personnages dans un pic de détresse absolu. Telle une sorte de fatalité et d’impasse, avant de pouvoir lever le rideau qui se cache derrière ce décor de violence. Parce que le survival et l’ouverture angoissante des espaces est une longue porte d’entrée vers l’intime. Les cinéastes ont eu la bonne idée de diriger l’un des deux policiers vers l’intimité de ce quartier, pendant que l’autre est dans l’horreur. Cette incursion plus profonde et émotionnelle est une manière de partir du réel pour aller vers l’ailleurs. D’une expérience électrique du huis-clos vers la révélation d’une solitude. Si SHORTA a une mise en scène aussi exacerbée, c’est parce qu’il trace un long chemin chaotique avant de pouvoir arriver vers le cœur du problème. L’ouverture des espaces pour voir des formes agitées, avant l’ouverture des yeux pour voir la complexité intime.

Cependant, la gestion du temps est bien trop chaotique elle-même. Parce qu’à force de construire et regarder la violence, le film ne regarde jamais la crise sociale dans laquelle il s’implante. Alors que ces espaces sont aussi déserts, vides de mouvements (hors violence) et agonisants, les cinéastes mettent en scène un pur film de genre. Au-delà de ce vide, le cadre ne va jamais chercher autre chose que le basculement de la violence. Il ne va jamais chercher ce qui compose cette méfiance, voire défiance, entre les deux cadres qui entrent en collision. Le film part d’un seul cadre, et ne commence véritablement qu’avec l’accrochage. Les maux qui traversent chaque recoin de cet espace désert et pauvre ne sont pas inspectés, comme si les difficultés qui se cachent derrière le décor ne sont que des symboles que le cadre n’arrive pas à attraper, tels les policiers qui ont du mal à atteindre les adolescents. Un film parfois un peu maladroit, mais cela renforce l’idée de chaos véhiculé à travers les images, tel un bruit sourd qui a un impact tragique.


SHORTA ; Écrit et Réalisé par Frederik Louis Hviid, Anders Olholm ; Avec Jacob Lohmann, Simon Sears, Tarek Zayat, Dulfi Al-Jabouri, Issa Khattab ; Danemark ; 1h48 ; Distribué par Alba Films ; Sortie le 23 Juin 2021

3.5 / 5