Tokyo Shaking, d’Olivier Peyon

Tokyo, le 11 mars 2011. Un tsunami ravage la côte du Japon, menaçant de détruire la centrale de Fukushima. Le récit avance progressivement, débutant par le tsunami pour aller petit à petit vers l’accident qui a produit les explosions. Olivier Peyon choisit d’y aller étape par étape, de faire monter la panique et les incertitudes graduellement. Ce chemin narratif permet d’explorer les effets du danger (qui grandissent) au fur et à mesure sur les personnages, de briser leur confort (l’intimité, la sécurité, etc), de révéler leur complexité morceau par morceau. Parce que la protagoniste Alexandra, incarnée par une Karin Viard incroyable, travaille pour une banque française à Tokyo : que ce soit elle ou ses collègues, il y a des standards de comportements à adopter. Ainsi, le tsunami et la future catastrophe de la centrale vont révéler leur personnalité, leur intérieur. Alexandra se retrouve en plein cœur de cette crise : elle est constamment dans un entre-deux, qui doit faire appel à la fois à son côté professionnel et à son côté personnel. Elle est prise entre les ordres de sa direction, et la sociabilité qui l’entraîne à vouloir agir pour ses collègues et sa famille. Elle est dans cette frontière entre la fatalité et le désir, et navigue constamment entre les deux parties.

Cela implique un mouvement permanent, que ce soit dans les lieux professionnels ou dans les lieux intimes. TOKYO SHAKING est un aller-retour constant entre ces deux espaces. C’est à la fois le fruit de l’ambiguïté de la situation à laquelle sont confrontés les personnages, mais aussi le fruit d’une narration assez programmatique. Parce que la forme qui ressort le plus est une confrontation entre l’espace professionnel et l’espace intime. Ainsi, la narration ne fait qu’alterner la présence d’Alexandra dans chacun de ces espaces, sans jamais que ceux-ci n’arrivent véritablement à dialoguer ou à s’inviter l’un dans l’autre. Au final, chaque avancée dans la panique est trop perturbée par un danger de basculement. Comme si les personnages sont enfermés dans une bulle, où l’on finit par comprendre (très vite) que toute situation se terminera forcément dans les bureaux de la banque. Le film sait très bien là où il se dirige, mais son chemin est énormément balisé pour ne pas laisser aucun écart. La panique et les émotions entre personnages se construisent comme un immeuble : brique par brique, sans que rien ne puisse tout faire effrondrer. C’est ainsi que le cadre se contente de montrer les réactions des personnages, aussi fortes qu’elles sont bien incarnées, mais quitte à délaisser petit à petit le mouvement. Tel un magnétisme qui pousse toujours les personnages dans un même et unique chemin.

Il faut donc avant tout retenir de TOKYO SHAKING son approche des espaces. Parce que Olivier Peyon, malgré le chemin tout tracé et sa narration programmatique, propose les lieux traversés par Alexandra comme un marqueur essentiel pour rassurer et protéger les personnages. Même si le récit est composé de plusieurs lieux différents, les locaux de la banque sont le lieu principal. S’il est aussi important, c’est parce que c’est là que tout se joue. Il s’agit presque d’un huis-clos, où tous les enjeux y sont concentrés. Même le danger d’un accident aux centrales nucléaires s’y retrouve. Le cinéaste n’hésite jamais à invoquer tout ce qui compose le récit dans ce même espace. Notamment par l’utilisation subtile d’images d’archives, concernant le tsunami et les centrales nucléaires, pour mieux appréhender le hors-champ. En ajoutant ces moments où les personnages découvrent l’évolution du paysage lointain (à 250 km d’eux), il y a forcément un basculement dans l’espace où tous les personnages se trouvent. En travaillant sur la peur du possible danger (comme cette incroyable scène avec le pollen, où Karin Viard se dirige doucement vers une fenêtre qu’elle cherche quand même à ouvrir), le huis-clos est de plus en plus oppressant pour les corps, et déchaîné pour les esprits.

D’abord parce que cet espace professionnel devient lui-même une frontière : celui entre le social (voire l’humain) et le professionnel (les ordres de la direction). Alexandra est constamment happée par l’envie de protéger ses collègues et sa famille, mais aussi par l’obligation de prendre en main son environnement professionnel. Alors les esprits s’animent, s’échauffent et la parole fuse pendant que les regards se concentrent sur des vues panoramiques. Au point même que la mise en scène crée un débordement dans certains espaces. Avec les nombreux personnages secondaires, il n’y a plus vraiment d’espace intime. Tous les cadres personnels disparaissent au profit d’un espace commun, où chaque personnage peut s’inviter dans le cadre d’un autre. Jusqu’à même employer parfois des touches d’ironie et de légèreté. Quand les personnages secondaires débordent autant dans les espaces, c’est presque une métaphore de ce tsunami et de l’accident nucléaire qui menacent Tokyo et le quotidien des personnages. Surtout parce que les espaces se transforment progressivement. Que ce soient avec les fenêtres à calfeutrer, les bureaux qui se vident, les locaux de la bande qui deviennent un lieu de vie, l’appartement familial qui devient presque un lieu de réunion entre voisins, etc. Tout est fait pour révéler le potentiel humain derrière la vitrine qu’impose un tel espace. Alors qu’il s’agit d’un siège de banque, la transformation de celui-ci pour se protéger du danger permet de lever le voile sur les humains qui le compose. Les personnages se révèlent dans leurs émotions et leur solidarité grâce à un espace qui prend une nouvelle forme. Parce qu’il est sans cesse bon de rappeler que c’est par la mise en scène des espaces que des personnages peuvent être étudiés.


TOKYO SHAKING ; Réalisé par Olivier Peyon ; Scénario de Olivier Peyon, Cyril Brody ; Avec Karin Viard, Stéphane Bak, Yumi Narita, Philippe Uchan, Jean-François Cayrey, Emilie Gavois-Kahn, Nola Blossom, Charlie Dupont ; France ; 1h41 ; Distribué par Wild Bunch ; Sortie le 23 Juin 2021