Parler d’un pays malade politiquement en parlant de Cinéma, tel est le défi de Suhaib Gasmelbari dans son documentaire. Le film suit quatre amis à la retraite, qui après des années d’études et d’exil à l’étranger, décident de rénover une salle de cinéma pour réaliser un rêve commun : ramener le plaisir et l’amour du Cinéma au Soudan. Éperduement idéalistes, les quatre amis projettent des films dans plusieurs lieux du pays, grâce à leur van. Ils évitent la censure du pouvoir en place dans leur road trip nourrit par l’amour du Cinéma. Mais voilà qu’ils veulent rêver et faire rêver encore davantage, en faisant revivre ce Cinéma abandonné. À travers tout le documentaire, Suhaib Gasmelbari se met à distance pour observer ces retraités tenter d’organiser une grande projection publique dans la capitale. Le nom qu’ils donnent à cette salle de cinéma est très évocateur de leur geste : La Révolution.
Suhaib Gasmelbari capte tout l’humour, l’idéalisme, les rêves, l’extravagance de ces quatre retraités, permettant au documentaire de ne pas être un manifeste politique brut. Dans la complexité et les obstacles qu’ils ont à organiser cette grande projection publique, il y a l’entre-deux-lignes d’un film qui parle de la censure du pouvoir politique, et d’un pays qui n’aurait pas le droit de rêver / de se divertir comme il le souhaite. L’extravagance et l’idéalisme des quatre amis est le miroir opposant l’extrême répression qui gouverne le pays. Sauf que Ibrahim, Suleiman, Manar et Altayeb rêve plus grand avec l’envie et le temps qu’ils consacrent à essayer de rouvrir cette salle de cinéma. Entre le cinéma, la parole et aller à la rencontre des habitant-e-s du quartier, TALKING ABOUT TREES montre comment l’imaginaire et les rêves forgent une société, et montre également comment la cocasserie de ce projet rencontre l’autoritarisme du pouvoir. L’imaginaire existe pour combattre l’injustice, l’imaginaire existe pour justifier la liberté individuelle et collective.
Cet imaginaire cocasse (car impossible) leur permet d’investir un espace, une manière pour Suhaib Gasmelbari d’explorer comment le courage, la lutte, le rêve et la liberté prennent s’installent pour se battre. TALKING ABOUT TREES explore ce geste de redéfinir un espace, pour qu’à la place du délabrement et de l’abandon, il puisse y avoir un espace de rêves. Une aventure dans les ruines, une aventure entre les générations. Comme cette image drôle et tragique de deux retraités qui découvrent une bobine de films à terre, déroulée, suggérant implicitement l’évolution des supports. À l’image d’un exil, le pouvoir soudanais a abandonné des gens et a laissé filé les années sans pouvoir concrétiser un imaginaire collectif. Suhaib Gasmelbari filme donc que ces quatre retraités, ces héros d’un autre genre, qui avec plein de tendresse et d’auto-dérision, tentent laborieusement avec pour seule arme leur imaginaire, de ranimer la flamme du cinéma soudanais.
TALKING ABOUT TREES
Réalisation Suhaib Gasmelbari
Pays Soudan, France
Distribution Météore Films
Durée 1h37
Sortie 18 Décembre 2019