Une seconde mère

Écrit et Réalisé par Anna Muylaert. Avec Regina Casé, Michel Joelsas, Camila Mardila, Karine Teles, Lourenço Mutarelli. Brésil. 110 minutes. Sortie française le 24 Juin 2015.

Malheur à ceux qui osent comparer le film de Anna Muylaert avec LES BRUITS DE RECIFE de Kleber Mendonca Filho. Le regard sur la société brésilienne n’est pas le même, et ils ne s’inscrivent pas dans le même registre. Le premier a un côté beaucoup plus dramatique, avec des soupçons romanesques. Le second tend vers le fantastique, vers l’illusion d’une beauté. Les ambiances sont opposées, tant le second est sombre quand le premier se veut plus lumineux. Le long-métrage de Muylaert mêle la question sociale (les classes, les ethnies, le travail, l’argent, …) avec la question maternelle. Les deux se complètent, pour former une intrigue autour de Val (joué par Regina Casé). Le grand problème, c’est que le propos sur la relation mère/fille vient absorber toutes les possibilités de la dimension sociale. Il y a une stagnation dans cette question, une observation linéaire : parce que la branche maternelle du film est trop développée. Le traitement des classes et des ethnies reste à l’état d’idées pré-fondées, des a-priori factuels qui ne dépassent jamais le cadre de la critique acerbe. Ce qui se déroule est mauvais, mais aucune sortie n’est livrée (on reviendra plus tard sur le dernier quart d’heure).

Bien que la question maternelle pèse davantage que la question sociale, les deux connaissent le même élément perturbateur. Il s’agit de la fille de la protagoniste. Ce personnage arrive de l’extérieur, et permet de briser la bulle sociale forgée par la maison de luxe. Cette grosse bulle est l’image sociale que veut refléter le film. Et avec cette arrivée du dehors, c’est un huis-clos qui perd pied : les fondations s’usent et le cadre peut se libérer de tout geste quotidien. Le chaos intervient, notamment dans cette perte de plans séquences progressive. Jusqu’alors, ils servaient à observer tranquillement les relations sociales entre les classes et les ethnies. Dès l’arrivée de l’élément perturbateur, il y a notamment davantage de scènes hors propriété, mais surtout un découpage plus dynamique. Les plans courts se font plus nombreux, et les angles de vue changent petit à petit. Comme si la perturbation infecte tous les coins de la propriété (exemples du rat dans la piscine ou de la glace dans le réfrigérateur).

Un détail est à ne pas oublier dans ce long-métrage, avec ce regard social et maternel. Que ce soit dans la mise en scène ou l’esthétique, tout est fondé sur la recherche du naturalisme. Les attitudes sont connues de tous, et le grand soleil brésilien vient illuminer ce prétendu coin de paradis social. La mise en scène s’inspire de la distance entre les classes : le mobilier, les murs et les portes sont autant d’arguments de séparation. Les pièces ne sont pas vues de la même manière pour chaque personnage. Quand Regina Casé longe les murs, reste en retrait derrière une porte, attend à l’arrière-plan derrière le canapé (alors que ses patrons sont tous assis au premier plan), etc. Ce naturalisme n’est en rien du réalisme, car la lumière est bien trop présente (à noter l’absence continue d’ombres) et le décor trop minutieux (les couleurs sont froides et merveilleuses à la fois).

Malgré tout, le naturalisme dans cette mise en scène n’empêche pas au film d’être mal écrit. La narration est trop académique, et aucun rythme n’émerge. Avec de nombreuses situations répétées, surtout dans les confrontations entre employée et patrons, le long-métrage dresse un portrait fixe sans vouloir déborder. L’écriture et le développement des personnages sont bien trop lisses pour avoir un regard percutant sur la question sociale. C’est également à cause de personnages aussi creux, que la question maternelle ressort autant. Il suffit de regarder ce dernier quart d’heure, totalement inutile. Clairement, ce film se veut en feel-good-movie, mais n’en a pas les bases d’un propos. Il s’agit vraiment d’un drame social qui s’enlise, désirant finir sur un happy-end dégueulasse et hors-sujet. Au lieu de résoudre les relations entre classes et ethnies, la fuite est proposée. Répugnante idée.

Le film n’est pas aidé par son montage, qui reste dans cette observation des deux propos. Sous forme de catalogue, UNE SECONDE MERE utilise de multiples ellipses. Sans explicitement clarifier sa temporalité, le long-métrage picore des instants du quotidien et des moments intimes pour composer son puzzle. Mais voilà, ce n’est pas en farfouillant partout qu’une unité se crée. Au contraire, en voulant agencer des situations uniques, le film ne trouve jamais son noyau qui devrait exploser. Dans chaque scène, chaque séquence, il y a toujours un détail qui pourrait faire basculer l’intrigue / le regard porté. Trop peu utilisés, ces détails n’obéissent qu’à la règle du montage catalogue, où un plan d’émotion (ou de sensation) suit une action. Ne sachant pas où se diriger, dans chaque séquence, le film reste sur cet effet binaire.

Une agréable idée est tout de même à relever, car elle fait intervenir le montage. Parce que cela vient directement du découpage, le mouvement est la source de tous les plans. Que ce soient des plans séquences ou des plans courts. Qu’ils s’agissent de plans fixes ou des travellings. La caméra respecte le mouvement de sa protagoniste, et le cadre lui crée une place spécifique dans chaque espace. C’est par ses mouvements, son placement et ses attitudes que le découpage se définit. Cela crée une dynamique particulière au montage, surtout quand il y a un cruel manque de continuité (ces ellipses pénibles utilisées à foison et souvent pour combler un vide). Même si la question sociale est cachée derrière la question maternelle, la caméra forge le respect et crée de l’amour envers la protagoniste.

3 / 5