La huitième édition du Champs-Élysées Film Festival est terminée, c’est donc l’heure du bilan. Au lieu de sortir une critique par film en compétition vu, cet article-bilan vous propose quelques lignes sur chacun de ces films. Malheureusement, le rythme d’un festival ne permet pas toujours d’écrire en temps et en heure, ou même de tout publier pendant le festival. Ainsi, maintenant que le festival est terminé et le palmarès dévoilé, cet article résume notre aventure dans ce festival. Au programme de cette semaine de cinéma indépendant (français et américain), douze films ont été vus – compétitions et avant premières combinées. Nous avons également eu l’occasion de monter sur le toit du Publicis (le fameux Rooftop) pour une soirée et un concert, celui d’Irène Drésel – artiste électro dont le son puissant entraîne la foule dans la danse sans temps mort.
Mais nous sommes là pour parler cinéma, et commençons avec trois films en compétition : les fictions DANIEL FAIT FACE et CHAINED FOR LIFE, puis le documentaire PAHOKEE (coup de cœur). Ces trois films ont eu le temps de bénéficier de critiques spécifiques, nous vous invitons donc à vous rendre sur les pages correspondantes. Vus sur deux soirées, il y avait aussi l’avant-première de THE MOUNTAIN : UNE ODYSSÉE AMÉRICAINE qui a également sa propre critique. C’est dans les jours suivants que le temps a cruellement manqué, et que les projections n’ont fait que s’enchaîner. Malgré le temps libre du Vendredi (3 jours après l’ouverture), les derniers jours n’ont pas offert de temps pour publier. Pourtant, il y a beaucoup à dire sur les films vus dans les trois derniers jours de couverture du festival. Toutefois, les films THE PRETENDERS de James Franco et THE SMELL d’Alex Ross Perry auront leur critique respective.
Il faut alors parler de FOURTEEN de Dan Sallitt, film d’amitié et d’amour, qui se construit autour d’une dualité. D’un côté, il y a le bohème devenant un état auto-destructeur pour la première protagoniste. De l’autre, il y a la rigueur et la stabilité de la seconde protagoniste, qui parfois aide et parfois prend ses distances pour se préserver de l’instabilité de sa meilleure amie depuis les études. Durant une décennie, le film suit ces deux personnages errer, déambuler, s’installer et quitter plusieurs espaces. Pendant cette temporalité, Dan Sallitt n’arrive pourtant pas à faire le portrait d’une jeunesse, d’une génération mélancolique. Alors que les espaces deviennent beaucoup trop nombreux, même pour la protagoniste stable, le film ne parvient jamais à aller au-delà des réminiscences du passé. A chaque fois, il s’agit d’une tragédie instantanée ou d’un regard vers le passé. La mise en scène et l’esthétique ne proposent jamais autre chose qu’une description des situations des personnages. Le film manque cruellement d’une ambiance ambivalente.
Puis, la journée s’est enchaînée avec VIF-ARGENT de Stéphane Batut. Véritable révélation et expérience cinématographique fascinante, le film sortira en salles le 28 août 2019. Film de fantôme(s), il nous a clairement fait penser au magnifique VERS L’AUTRE RIVE de Kiyoshi Kurosawa. Histoire d’une errance dans le Paris d’aujourd’hui, qui se transforme en un voyage mental et sensoriel hypnotisant. Avec ses nombreuses propositions de couleurs pour projeter les sensations des personnages dans les espaces, le film ne franchit pas la frontière du fantastique. C’est louable et inattendu, car le cinéaste préfère construire son film autour d’une romance, autour d’un réalisme très poétique. Parfois s’y mélange le road-movie et la comédie, pour déployer une mise en scène assez discrète qui se focalise surtout sur l’étrangeté de l’environnement dans lequel évoluent les personnages. Le genre fantastique est légèrement délaissé pour que les espaces et les attitudes soient une incursion du surréalisme dans le réel, et non l’inverse. Une contemplation sentimentale du crépusculaire.
La journée a continué avec la comédie BRAQUER POITIERS de Claude Schmitz, qui est clairement le type de film dont a besoin le cinéma français. Comédie fauchée, le film est pourtant d’une excentricité et d’une loufoquerie dingue. L’absurde est à son comble, et les personnages en sont encore plus attachants grâce à cela. Alors que le pitch est semblable à celui d’un thriller ou d’un home invasion, le film de Claude Schmitz évite complètement ces deux genres. Malgré un cadre très modeste, très sobre et révélant un montage vite bancal, la mise en scène est délicieuse entre improvisation et exagération. Mais voilà, ce n’est pas qu’une comédie, car les personnages y révèlent un vrai sentiment de chaleur humaine et de nonchalance dans une société froide et cruelle. Grâce à une photographie douce et poétique, le film parvient à construire des personnages plus complexes qu’ils ne paraissent.
Le lendemain, toujours en plein weekend, LOST HOLIDAY de Michael Kerry Matthews & Thomas Matthews fut projeté. Il est difficile de définir ce film, impossible de le catégoriser, si bien qu’il explore la comédie / le thriller / le film d’enquête / le drame. Il s’agit d’un mélange surprenant et passionnant de plusieurs tons, de plusieurs ambiances. Alors que les espaces s’enchaînent, ils sont eux aussi sous l’influence du mélange des tons et des ambiances. Mais surtout, les nombreux espaces sont synonymes du détachement total des personnages face à leur environnement d’origine. Devant partir en vacances, ils se retrouvent plutôt dans un road-trip improvisé qui a les couleurs d’un spleen. Ainsi, tous les petits récits secondaires se développent grâce aux attitudes et aux humeurs des personnages. Ainsi, un espace peut être amusant, comme il peut devenir dangereux en quelques instants. Un film qui fait la collision entre la naïveté, la liberté de la jeunesse et les nécessités, la tragique réalité du monde adulte. Le film ressemble au portrait de fin d’une ère, où le temps joue une grande importance dans une urgence permanente.
Puis, nous avons pu découvrir SIBLINGS d’Audrey Gordon, documentaire sur des adolescent-e-s séparés de leurs frères et sœurs, placés dans des familles d’accueil, et qui rejoignent un camp d’été le temps d’une semaine dans l’Oregon. Le récit et le constat sont déchirants, les jeunes personnes filmées montrent tellement de tendresse et de personnalité, que le film devient un superbe matériel pour leur rendre un petit hommage et exposer leurs situations. Mais voilà, le problème est justement ici : le documentaire ressemble terriblement à un exposé, avec beaucoup trop de distance dans le regard et dans la mise en scène. La caméra n’est qu’un témoin de cette semaine, ne parvenant pas à créer une ambiance dans ce camp, ou même de construire un ton unique à chaque adolescent-e filmé-e. Le regard est trop objectif et distant pour réussir à émouvoir, pour aller au-delà de la succession de portraits.
Nous ne parlerons pas de THE WORLD IS FULL OF SECRETS que nous n’avons pas du tout aimé, proposition cinématographique minimaliste dans l’esthétique et dans le découpage / montage. Nous avons raté deux films en compétition : FRÈRES D’ARME et SAINT FRANCES. Mais voici tout de même le Palmarès concocté par les différents jurys, avec les 15 prix décernés :
Prix du Jury Long-Métrage Américain : PAHOKEE d’Ivete Lucas & Patrick Bresnan ;
Prix du Jury Long-Métrage Français : VIF-ARGENT de Stéphane Batut ;
Prix du Jury Court-Métrage Américain : LIBERTY de Faren Humes ;
Prix du Jury Court-Métrage Français ex-aequo : DJO de Laura Henno ;
Prix du Jury Court-Métrage Français ex-aequo : ÔNG NGOAI de Maximilian Badier Rosenthal ;
Prix de la Critique Long-Métrage Américain : SAINT FRANCES d’Alex Thompson ;
Prix de la Critique Long-Métrage Français : DANIEL FAIT FACE de Marine Atlan ;
Prix Étudiant Long-Métrage Américain : THE WORLD IS FULL OF SECRETS de Graham Swon ;
Prix Étudiant Long-Métrage Français : BRAQUER POITIERS de Claude Schmitz ;
Prix France Télévisions Court-Métrage : LA ROUTE DU SEL de Matthieu Vigneau ;
Prix du Public Long-Métrage Américain : SAINT FRANCES d’Alex Thompson ;
Prix du Public Long-Métrage Français : FRÈRES D’ARME de Sylvain Labrosse ;
Prix du Public Court-Métrage Américain : NIGHT SWIM de Victoria Rivera ;
Prix du Public Court-Métrage Français : JE SORS ACHETER DES CIGARETTES de Osman Cerfon ;
Prix US in Progress : BEAST BEAST de Danny Madden.