Troisième jour de festival passé. La compétition suit son cours, tout comme les films des autres catégories. Malgré la situation sanitaire qui empêche de voir les films dans les salles obscures des Arcs et de Bourg Saint-Maurice, l’offre de programmation reste incroyable pour sa diversité. Comme le prix « Cinéma et Engagement Environnemental », décerné à I AM GRETA de Nathan Grossman, qui montre l’ambition permanente du festival de rester engagé. Parce que même si le festival doit être digital, il ne faut pas oublier l’impact social et militant que le cinéma peut avoir. Une manière de garder le cœur du projet qui grandit de plus en plus, chaque année. Cela malgré l’absence des petits détails qui font le charme du festival sur place. On pense notamment à pouvoir descendre de la station 2000 jusqu’au village 1950 à pied, de nuit, avec toutes ces lumières dans le lointain. On pense à cette longue route en bus pour se rendre à la grande salle Taillefer, qui permet d’échanger avec des festivaliers. En parlant de cette salle qui accueille chaque année les cérémonies d’ouverture et de clôture, on pense à ce bar au fond du hall où l’on peut manger un repas rapidement, concocté à la main sur le moment (on embrasse les personnes qui s’en occupent chaque année). On pense également à la possibilité de danser sur des musiques de Queen avec des inconnu-e-s à O’Chaud. On pense au petit-déjeuner à l’Aiguille Rouge, à la neige qui s’invite sur le petit balcon bloquant l’ouverture d’une fenêtre, à la piscine et au spa dans les hôtels pour se détendre, et même à la soirée luge, etc… Tous des moments qu’on aura hâte de chérir à nouveau, tous ensemble. En attendant, le festival vit toujours.
Les films vus
Ce troisième jour fut entièrement rempli par des films en compétition. Le premier fut L’AFFAIRE COLLECTIVE de Alexander Nanau, qui fait beaucoup parler et trouve beaucoup de retours dithyrambiques. Malheureusement, nous sommes dans le sens contraire, et sommes plutôt déçus par le documentaire. Alexander Nanau suit le travail des journalistes qui enquêtent sur la corruption politique qui touche le système de santé, traitant donc d’un sujet fort, qui place le journalisme au cœur du dispositif. Le documentaire rend évidemment hommage au journalisme, à ce qu’il a d’essentiel dans tout ce qu’il peut révéler, mais aussi en tant que contre-pouvoir démocratique. Toutefois, le documentaire ne va pas vraiment au-delà de l’hommage au journalisme, ce qui compte étant les faits révélés. C’est lorsque le film regarde de près la tragédie intime qu’il est le plus captivant et le plus intéressant, ce qui n’arrive pas souvent. Parce que la majorité du temps, Alexander Nanau réalise une captation illustrative de cette enquête journalistique. Le cadre n’a absolument rien à dévoiler des personnes qu’il filme, il n’a rien à explorer du monde journalistique. L’image ne peut rien faire face à un schéma narratif qui est déjà programmé en avance. Il n’y a jamais aucune ardeur dans cette situation, parce que l’opposition entre journalisme et politique est déséquilibrée dès le début, créant une dichotomie dans le focus.
Nous avons enchaîné sur le premier long-métrage de Kamir Aïnouz, intitulé CIGARE DE MIEL. C’est l’histoire de Selma qui vit avec ses parents à Neuilly-sur-Seine. Tout se déroule en 1993, au sein de cette famille berbère et cultivée. Alors que le fondamentalisme émerge dans leur pays d’origine, Selma rencontre un garçon. Mais elle sera vite rattrapée par le patriarcat, par les règles que lui impose sa famille, contrôlant sa vie. Il s’agit d’une quête de liberté pour Selma, comme un désir qui brûle, notamment celui d’émancipation. Pour échapper au tourment que représente le cadre familial, avec ses règles et ses traditions, Selma veut assouvir un désir lié au corps. Comme si ce désir organique est un dernier objectif à concrétiser vers la liberté. Que ce soit sa famille ou les jeunes hommes qu’elle rencontre, Selma est constamment prisonnière d’une autorité ou d’une violence : il y a une unité esthétique dans tout cela, avec une photographie très soignée entre le romantisme et le fantastique. La recherche de la liberté passe par la quête d’affection, qui semble se dissiper au profit de la violence. Toutefois, dans la mise en scène s’emprisonne également, dans un rythme très mécanique qui alterne entre l’expérience solitaire et la confrontation avec l’entourage. Le long-métrage initie de très belles idées esthétiques, avant de s’abandonner complètement au mécanisme étriqué de la narration.
Enfin, nous avons regardé LAST DAYS OF SPRING de Isabel Lamberti, qui a notamment réalisé des épisodes de la version néerlandaise de SKAM. Une belle curiosité sous forme de chronique familiale, où les personnages vivent dans un petit village éloigné de la banlieue de Madrid. Avec ces habitations faites entièrement à la main, il y a quelque chose d’intemporel dans le caractère caustique, d’abîmé et de pauvre du paysage. Mais Isabel Lamberti ne met pas en scène un drame tragique sur leur condition de vie. Déjà par la caméra, qui est souvent portée à l’épaule, témoignant d’un geste spontané pour saisir le mouvement permanent dans ce qui reste de la vie (ou même de la survie, parfois). Et grâce à ces différents points de vue au sein de la famille (fictive), il y a une manière de vouloir capter une peinture générale pour trouver leur identité, pour trouver ce qui les forge en tant qu’êtres passionnants. Parce qu’autour d’eux et dans leur quotidien, le film révèle une violence sous-jacente, qui coïncide avec l’autonomie dont ils doivent faire preuve dans cet abandon de la société. C’est la poésie humaine dans la désolation, surtout quand l’image est toujours composée d’une photographie très solaire, révélant à la fois la bienveillance de la cinéaste et la violence dont elle se fait l’écho par la caméra.
Un festival, c’est aussi des rencontres
Dans le cadre de la nouvelle catégorie « Déplacer les montagnes », le festival a organisé une rencontre autour de la question de l’engagement. Pour cela, étaient invités Félix Radu (comédien et auteur), Noël Mamère (ancien journaliste et politique), Cédric Kahn (réalisateur, scénariste et acteur), Gaël Faure (chanteur, musicien, artisan poète). Un débat modéré par Camille Etienne, porte-parole de l’association On Est Prêt (à laquelle nous vous conseillons de vous intéresser). L’une des premières discussions qui réunit des personnes de divers horizons, afin d’échanger sur le pouvoir du cinéma de faire bouger les pensées et les actions en société. Une manière de poursuivre ce que le cinéma peut produire : des discussions après les films, l’émergence d’idées, et l’envie de réfléchir sur le monde. Durant ce débat autour de l’engagement plusieurs choses sont à retenir, notamment ce qui a créé le déclic chez les invités pour s’engager (la question de la responsabilité est plusieurs fois revenue) en évoquant le rapport au monde & le rapport aux autres. Une autre idée essentielle qui a été soulevée est que l’art est engagé, que l’art est par essence politique, à partir du moment où la création provient de sensibilités et/ou d’une vision du monde. Si l’on prend donc le seul exemple du cinéma, il peut se définir comme une fenêtre sur le monde, où les images et les récits sont les marques de deux mondes : celui qui se meurt, et celui qui se construit. Parce que la culture est un vecteur de transmission du réel et de l’imaginaire. Comme le dit si bien Félix Radu : la conscience que le monde va mal est acquise depuis un moment, maintenant il faut pousser cette conscience jusque dans le cœur. L’art permet de créer de l’empathie, tout en essayant que cet art ne soit surplombé par son message, en devant réussir à s’en échapper. Parce qu’une œuvre d’art ne peut changer le monde à elle seule, mais elle peut permettre de dévier les pensées d’un côté davantage que d’un autre. L’art nous construit, et l’engagement peut naître de là.
Aujourd’hui, nous avons également eu le droit (et toujours disponible sur facebook et sur la plateforme du festival) à une masterclass d’Éric Toledano, réalisateur notamment de INTOUCHABLES, de NOS JOURS HEUREUX, de LE SENS DE LA FÊTE, de HORS NORMES. Un échange particulièrement intéressant, qui permet de comprendre les sensibilités du cinéaste avec l’art cinéma. Que ce soit ses premiers contacts avec le 7e art, grâce à la VHS et grâce à deux cinémas de Versailles, ou avec un stage sur un tournage. Il a aussi été question des thèmes et des désirs qui le traversent lorsqu’il a un projet de film en tête, en mentionnant régulièrement le binôme très complice qu’il forme avec Olivier Nakache. Une masterclass qui a également révélé quelques uns de ses goûts, comme Cédric Klapisch, Woody Allen (« Crimes et délits », « Manhattan » et « Annie Hall »), Claude Sautet (« César et Rosalie », « Vincent, François, Paul et les autres »), « Le Parrain » de Francis Ford Coppola, les films italiens des années 1960/70, ou même « Jour de fête » de Jacques Tati. Puis, Éric Toledano a eu l’occasion de répondre à des questions d’étudiants, grâce au dispositif Scolaires du festival. Grâce à la magie de la technologie multimédia, le public jeune a répondu présent. Ce que l’on retiendra surtout de cette masterclass est tout l’intérêt d’Éric Toledano pour le collectif, ou même plus largement pour le rassemblement de personnes. Comme il le dit si bien, dans l’idée que nous avons tou-te-s besoin des uns et des autres. Que ce soit socialement, ou que ce soit pour avoir la meilleure expérience cinéma dans une salle obscure.
Entre cette sélection de films à dévorer tant que possible et les rencontres qui commencent à arriver, il n’y a pas vraiment le temps de se poser. Même si nous vivons le festival à la maison, cela reste un rythme de festival à garder, avec toute la rigueur nécessaire. Nous écrivons ces lignes pour vous partager le plaisir que nous avons de couvrir Les Arcs Film Festival, comme chaque année. Et même si le festival est Hors Piste pour cette édition, nous sommes là. Comme toute la journée sur les réseaux sociaux, et chaque matin ici. Alors, à demain pour un nouveau résumé, et bonne journée de festival Hors Piste !