Souvent lorsqu’on pense festival, on retient très majoritairement les films. Toutefois, un festival est bien plus qu’un mouvement d’aller & retour en salles. Bien au-delà des simples questions/réponses avec les équipes de films en fin de séance, un festival est aussi un lieu de rencontres. C’est une occasion unique de rencontrer ceux & celles qui font le cinéma, peu importe leur métier. Que ce soit sur les lieux du festival, ou même en édition digitale, il y a l’opportunité d’être les témoins d’une pensée, d’une discussion, etc… Pour cela, les festivals créent d’autres événements que les simples visionnages. C’est le cas aux Arcs Film Festival, qui a notamment inauguré cette année la catégorie « Déplacer les montagnes ». Une façon d’amener les préoccupations habituelles du festival chez nous, comme des échanges / débats mis en ligne chaque jour. Mais il y a également des séances scolaires, car le Jeune Public a toujours été très important dans un festival : l’éducation à l’image et les premières expériences de festival sont des moments essentiels. De plus, il y a les gestes (presque) éphémères et qui peuvent paraître anecdotiques, mais qui comptent beaucoup pour mettre en valeur l’intention d’un film : comme le Green Lab, le Lab Femmes de Cinéma, le prix Sisley Femme de Cinéma, les ciné-débats. Enfin, il est important d’évoquer que Les Arcs Film Festival est l’un des rares festivals en France à aider des œuvres, avec le Work in Progress qui apporte une visibilité à des films en post-production qui ont besoin de partenaires financiers, des agents de vente, un distributeur, ou même de fonds. Section qui fait écho avec le Village des Coproductions, permettant d’aider au financement ou à la production des projets en développement. Il fallait en dire un mot, parce qu’il est important de rappeler qu’un festival n’est pas qu’une affaire de films, mais aussi un tremplin.
Les films vus
Le premier film vu en ce quatrième jour de festival est le thriller danois SHORTA de Frederik Louis Hviid et Anders Olholm. Alors que le film commence telle une chronique suivant le quotidien de deux policiers dans plusieurs rues, celui-ci va petit à petit se diriger ailleurs. Alors qu’un jeune homme d’un quartier pauvre décède de suite de blessures obtenues après un contrôle policier, la tension grimpe dans la ville. Sauf que les deux policiers protagonistes sont en plein contrôle dans le quartier où habite le jeune homme décédé. Ils vont très rapidement être confrontés à la colère des jeunes du quartier, qui va se transformer en une envie de vengeance. La chronique devient alors un survival, parce que le film prend le point de vue des policiers, qui doivent réussir à quitter le quartier alors qu’ils sont menacés de toute part. Livrés à eux-mêmes, ils sont mis en scène avec une angoisse du hors-champ et une appréhension des espaces grands ouverts. Frederik Louis Hviid et Anders Olholm partent du réel pour l’emmener ailleurs, pour le dissimuler ensuite dans la pure fiction où la solitude du survival est exacerbée dans un huis-clos à ciel ouvert. Le grand avantage du long-métrage est de nuancer les formes de violences selon les personnages, tout en ayant l’inconvénient de suivre une direction assez programmatique dans la narration. L’escalade de la violence n’est pas une surprise, si bien que le film n’a pas réellement besoin de verser dans une approche de plus en plus sauvage et primitive. Surtout lorsque, dans un troisième temps, les deux cinéastes ont la bonne idée de créer une grosse rupture de ton en amenant l’un des protagonistes dans l’intime. Une manière de lever quelque peu le rideau qui se cache derrière ce décor de violence. Jusqu’à, ensuite, exprimer une certaine fatalité face à cette violence qui tourne vers l’horreur. Avec une photographie de plus en plus sombre (le récit va jusque dans la nuit), il s’agit d’explorer comment la violence se propage et s’accentue dans un espace déjà chaotique. Une vraie belle surprise.
Nous avons enchaîné avec le documentaire C’EST TOI QUE J’ATTENDAIS de Stéphanie Pillonca, un film assez modeste et qui ne fait pas beaucoup de bruit, qui vaut largement le coup d’œil. Parce que réussir s’inviter dans l’intimité de personnes qui traversent une période difficile émotionnellement, ce n’est pas une chose aisée. Dans ce documentaire, Stéphanie Pillonca va à la rencontre de deux couples qui essaient d’adopter chacun un enfant, puis à la rencontre de deux personnes qui recherchent des parents biologiques (un homme cherche sa mère, une femme cherche son fils). Dans les quatre cas, il y a la question de l’adoption d’enfants. Quatre parcours que la cinéaste ne raconte pas dans leur entièreté, parce que ce serait bien trop long. Mais le film se fait le témoignage des moments qui créent le basculement (soit positif, soit négatif). Ces moments qui permettent de construire un avenir tant désiré, ou de recomposer un passé trop flou. Dans chaque parcours, le documentaire réussit à révéler un sentiment de mal-être, où la diversité des portraits est une manière de connecter toutes ces émotions dans un mouvement sensible. Le soucis du film est de souffrir de son côté enquête, car il accompagne littéralement les personnes dans leur recherches. Dans un rythme assez décousu et un ton très inégal (fait d’intimité contemplées et d’exposés de démarches), le film fait preuve de beaucoup d’émotions et de sensibilités, mais possède une approche assez scolaire qui n’offre pas de moments marquants.
Enfin, nous avons vu le documentaire au titre très explicite I AM GRETA de Nathan Grossman. Le principe est assez simple : il s’agit d’un film qui suit le parcours de Greta Thunberg depuis le début de sa grève scolaire jusqu’à la notoriété qu’elle a aujourd’hui. Nathan Grossman se fait donc le témoin de son engagement, mais aussi de cette aventure où plusieurs personnes à travers le monde rejoignent son combat. Le documentaire montre comment, à seulement 15 ans, Greta Thunberg devient très vite à la fois une icône et la porte-parole d’un mouvement pour le climat. S’il y a bien des motifs qui traversent tout ce documentaire, ce sont le mal-être de Greta avec le monde qui l’entoure, puis le sentiment qu’elle mène ce combat par obligation (face à une urgence) et non par choix. Avec l’arrivée d’une vague de soutien et d’autres réactions très diverses, Greta est petit à petit érigée comme leader d’un mouvement, image après image (apparition après apparition). Même si la caméra de Nathan Grossman tend fortement à ne jamais donner son point de vue sur la situation (jusqu’à embrasser cette célébration lors d’une scène où Greta est sur scène devant un public qui tape dans ses mains sur la musique « We will rock you »), elle capte l’aspect conflictuel qu’il y a à militer – car Greta trouve toujours des obstacles sur son chemin (des personnes qui n’agissent pas, pour faire court). Le grand soucis est que le documentaire ne sait pas toujours quel ton manier : parfois dans le biopic qui congratule Greta, parfois étant le drame d’un mouvement qui stagne dans le temps et provoquant un épuisement de plus en plus prononcé, et parfois adoptant la carte du manifeste au ton très orienté qui va prêcher ceux qui sont déjà convaincus. Le documentaire réussit à être le témoignage d’une jeunesse qui grandit trop vite et prend en charge une forte responsabilité, mais au dépit de se garder Greta Thunberg comme figure centrale dont l’empathie est souvent forcée.
Un festival, c’est aussi des rencontres
Concernant le documentaire I AM GRETA, il y a eu une rencontre avec le réalisateur Nathan Grossman (de environ une demi-heure, disponible sur la plateforme), accompagné de Adélaïde Charlier (militante écologiste qui apparaît dans le film) et Camille Étienne (activiste, porte-parole de l’association On Est Prêt !). Tout a commencé avec Nathan Grossman, qui faisait déjà des films en rapport avec l’écologie, et fut intrigué par Greta Thunberg assise devant le parlement suédois. Il l’a alors observé, et a décidé de la suivre dès lors qu’il a remarqué que le mouvement pris de l’ampleur. Selon le réalisateur, son film s’inscrit dans le cinéma-vérité, en optant cette approche afin d’amener le spectateur dans toutes les situations rencontrées par Greta, mais aussi pour faire ressentir son univers de l’intérieur. Il est certain que la caméra prend le point de vue de Greta, en étant toujours à la bonne distance pour ne pas être trop intrusive, mais en étant constamment à sa hauteur. Nathan Grossman a également remarqué que, plus le mouvement s’agrandissait à travers le monde, et donc plus les mots de Greta avait une résonnance dans le monde, plus son documentaire prenait de l’ampleur. Il y a même une notion de la spontanéité, confirmée par Adélaïde Charlier qui explique que tout s’est déroulé très vite en Belgique – que ce soit par la mobilisation qui a commencé sur les réseaux sociaux, mais aussi par l’appui des médias. Interrogeant les intervenants, Pierre-Emmanuel Fleurantin évoque aussi la question de la parole qui se libère de la part des jeunes dans cette spontanéité, mais qui semble ne pas être très entendue. Adélaïde Charlier explique une motivation incessante de faire passer le message malgré la résistance qui persiste, puis Camille Etienne parle de l’intention de « faire le deuil du vieux monde », exposant le passage nécessaire entre les générations.
Autre rencontre qui s’est tenue hier, et toujours disponible sur la plateforme : « Rassembler, représenter, incarner » modérée par Fabienne Silvestre (co-fondatrice du festival et du Lab femmes de cinéma). Parmi les invités de cette table-ronde dédiée aux enjeux des représentations dans le cinéma, vous pouvez écouter Judith Davis (actrice, réalisatrice, scénariste), Thomas Lilti (médecin, réalisateur, scénariste), Sophie Marie Larouy (autrice, comédienne, humoriste, journaliste) et Harold Valentin (producteur, membre du mouvement 50/50). Pour parler de la diversité dans les œuvres audiovisuelles, H. Valentin évoque d’abord l’idée de ne jamais enfermer les personnages dans des discours, dans des étiquettes, dans des images. S.M. Larouy évoque celle que le désir de visibilité et de notoriété n’est pas une fin en soi, mais qu’il est préférable de réussir à faire ce que l’on aime en restant en accord avec son discours et ses arguments. T. Lilti évoque son questionnement permanent de savoir si, sur ses plateaux de tournage, la parité et la diversité existent. Ce sont des questions qu’il se pose en tant que producteur et scénariste. J. Davis évoque son idée que le cinéma est un miroir de la société : s’il est possible de changer ce miroir, la société pourra changer.
Et là, plusieurs choses irritantes arrivent : cette idée de la culpabilisation systématique d’être un homme blanc. Facepalm 1. Puis cette fâcheuse tendance de confondre représentation avec diversité. Facepalm 2. Et enfin, cette horrible manie très moderne de croire (et vouloir faire croire) que le cinéma est un art de la représentation, lorsque l’on sort « montrer à l’écran des choses qui ne représentent pas la société ». Or, la représentation est de l’ordre de la globalité, du pur symbole, de faire correspondre des personnages différents à une même existence parce qu’ils ont une même caractéristique (genre, couleur de peau, origine, etc), qu’un personnage peut s’exprimer au nom d’une minorité ou d’une communauté. Facepalm 3. Le cinéma n’est pas un art de représentation, mais un art du regard : il y a un point de vue, un geste qui extrait quelque chose du réel pour en faire une curiosité personnelle. Le cinéma n’est pas un miroir démagogique du réel, c’est une composition de plusieurs visions du réel. Surtout que Ken Loach et Nanni Moretti sont des cinéastes cités dans la discussion : à quel moment Loach et Moretti font de la représentation ? Leur cinéma est tellement plus profond et nuancé que cela…
Après cette réaction très personnelle suite au visionnage de la table-ronde du jour, je tiens à dire que je respecte totalement l’initiative et les personnes qui étaient exprimées. Je suis seulement en contradiction avec le discours tenu, en ayant un point de vue bien différent sur l’approche vis-à-vis du cinéma. Tout discours est important pour faire avancer les problématiques. Tout échange est essentiel, surtout lorsqu’il s’agit de l’image renvoyée par les œuvres. Mais il ne faudrait pas réduire l’art (et le cinéma, notamment) à quelque chose de moral et sociologique : ce serait oublier la fonction de l’image. Maintenant que cela est dit, il est peut-être temps d’aller se reposer. Parce qu’en cette cinquième journée qui commence, il y a d’autres films à voir et d’autres débats à écouter. Alors, comme d’habitude, bon festival à tou-te-s !