Les Arcs Film Festival 2020 : Jour 8 (et la fin, pour nous)

Lorsque j’avais organisé mes journaux de bord, avant le festival, toutes les introductions étaient planifiées. Celle-ci, de mon dernier jour de festival 2020, devait être consacrée à une sorte de « best of de moments » passés aux Arcs. Sauf qu’il y a une chose qui ne pourra jamais être niée : des images valent davantage que des mots. Alors voici quelques photographies prises, avec un téléphone portable, lors des mes passages au festival depuis 2015 (pas de photo où des gens sont reconnaissables).

Les films vus

Aujourd’hui était une journée très portée sur les court-métrages. Nous avons d’abord visionné le programme de court-métrages autour de LA VIE DE CHATEAU. En premier il y a PARAPLUIES de José Prats & Alvaro Robles. Un film très surprenant, qui arrive à faire la part d’émotion et de poésie dans de mêmes images, avec une simple histoire de petite fille qui arrive dans un panier et se retrouve élevée par un homme solitaire. Le contraste des couleurs est incroyable : dans ce paysage où il ne cesse de pleuvoir, où tout est gris, il y a cette petite fille cernée par la lumière et la couleur provenant d’un parapluie. Une protection face à la morosité ambiante de l’extérieur, jusqu’à ce que le ciel se dégage et que le paysage retrouve la beauté. Un énorme travail sur la couleur, où l’onirisme de l’innocence s’oppose à un monde triste et dangereux. Ensuite, il y a le court-métrage POMPIER de Yulia Aronova, un petit bijou de burlesque qui suit la dévotion d’un pompier à son métier, se ruant à chaque fois qu’il détecte une petite étincelle. Tout est absolument drôle, jusqu’à atteindre subtilement le chemin de la romance. Une rupture de ton qui fait chaud au cœur, autant que la couleur rouge domine notre rétine dans ces dessins. Le rouge du danger et le rouge de l’amour, qui domine la vie de ce pompier bien solitaire. Enfin, arrive le court-métrage LA VIE DE CHATEAU de Clémence Madeleine-Perdrillat & Nathaniel H’Limi. Un film qui arrive à manier ensemble le merveilleux et la douleur, à mélanger les notions d’espoir / d’amour avec les notions de deuil / de mélancolie. À ce traumatisme que vit la petite Héloïse, les espaces deviennent fragiles et imprégnés de ce traumatisme. L’enchantement disparaît avec le chagrin, avec la persistance de la fugue. Mais lorsque les émotions des personnages se dévoilent, les cœur s’adoucissent, et le dessin prend une dimension plus enchantée. Comme pour redonner des couleurs et un battement de cœur face à une fracture douloureuse. Dans cette reconstruction d’une vie, que ce soit pour Héloïse et pour Régis, le film capte cette beauté qui ressurgit petit à petit. Un véritable chemin vers la lumière, où il faut apprendre à embrasser l’imaginaire affectif dans un réel douloureux. Une merveille, qui sortira dans les salles en 2021.

LA VIE DE CHATEAU de Clémence Madeleine-Perdrillat & Nathaniel H’Limi

Ensuite, nous avons enchaîné avec deux court-métrages britanniques, qui étaient en compétition (le rédacteur de cet article est spécialisé dans le cinéma britannique, ce n’est donc pas un hasard). Le premier est STUFFED de Theo Rhys, qui mélange la comédie avec le drame et surtout avec le musical. Une œuvre bien surprenante, comme un mini opéra gothique freak. Deux personnages qui peuvent paraître étranges au point de trouver le film embarrassant, mais tout cela participe à l’idée qu’il s’agit d’une ode aux âmes seules et abîmées. Dans cet espace isolé et tout aussi abîmé que les personnages, ceux-ci chantent leurs émotions comme s’ils ne pouvaient pas les exprimer par la simple parole. Une approche qui s’inscrit dans une esthétique très gothique, entre une imagerie sombre et une mélancolie intemporelle, où le corps prend beaucoup de place, dans une légère transformation de la réalité. Tel un imaginaire pour échapper à la peur du réel (notamment la question du rejet), en s’abandonnant à l’exacerbation de la détresse. STUFFED est comme une variation du monstre de Frankenstein, même s’il ne s’autorise pas toujours à aller vers le lyrisme du chant. L’autre court-métrage est le documentaire CITY OF CHILDREN de Arantxa Hernandez Barthe. Énorme révélation que voilà, où la caméra s’invite par curiosité dans une cité ouvrière complètement isolée après une désindustrialisation. Un regard étonnant et bienveillant, qui capte la manière dont la jeunesse envahit l’espace extérieur, pour l’adopter comme son terrain de jeu et son terrain d’apprentissage quotidien. En les suivant de très près, la caméra montre avec frontalité la difficulté de ce quotidien rempli de misère et dépourvu de perspectives, où l’horizon est absent du cadre. Un véritable désenchantement de la jeunesse, qui erre constamment dans un espace figé et des journées qui se répètent. Mais le plus beau est de réussir à saisir cette manière qu’a la jeunesse et la rue de connecter chaque personne, chaque habitation, où la camaraderie fait chaud au cœur face à la souffrance.

STUFFED de Theo Rhys
CITY OF CHILDREN de Arantxa Hernandez Barthe

Enfin, nous avons découvert le long-métrage (également britannique) COUNTY OF LINES de Henry Blake. C’est l’histoire du jeune Tyler, 14 ans, qui vit dans un modeste appartement avec sa mère célibataire et sa sœur cadette. Alors que sa mère travaille à des horaires difficiles, il doit beaucoup s’occuper de sa mère. Cependant, tout va basculer, et Tyler se retrouve mêlé à une entreprise de vente de drogue qui exploite les adolescents vulnérables. Un cercle infernal s’installe alors que la famille est déjà dans une situation compliquée. On retrouve ici toutes les caractéristiques du film social britannique : la misère sociale, l’intimité dysfonctionnelle, l’épuisement constant des personnages, et l’hostilité des espaces. Pourtant, la grande réussite du film tient à l’adoption de deux points de vue : celui de Tyler et celui de sa mère Toni. Dans une atmosphère glaciale, le quotidien de cette famille est tout aussi triste et déprimant. Henry Blake attache même énormément d’importance à faire le portrait de gestes quotidiens, à première vue anecdotiques, qui se répètent dans une idée de survie. C’est alors que l’on comprend que la vie de Tyler et de Toni est une errance infinie, gouvernée par une forme de violence psychologique jusqu’à l’abattement et l’épuisement. Mais subtilement, Henry Blake fait basculer son film dans la violence physique et explore un autre visage de cette souffrance, celui de l’auto-destruction. En parlant de fracture familiale et de faille dans le système éducatif, le film ressemble parfois à un thriller parce que le romantisme a disparu. Une approche très forte, renforcée par ce cadre impitoyable qui n’épargne aucun personnage, où chaque espace est un champ de bataille quotidien. On suivra de près le travail de Henry Blake, car ce film est un coup de cœur.

COUNTY OF LINES de Henry Blake

Un festival, c’est aussi des rencontres

Jeudi, le festival a organisé une rencontre entre plusieurs Centres Nationaux de Cinéma Européens. Parmi les invités, il y avait Anna Serner (directrice de l’institut suédois du film), Elisa Rodriguez (ICAA – institut du cinéma et des arts audiovisuels en Espagne), Teresa McGrane et Eimear Markey (Screen Ireland), Guy Daleiden (Film Fund Luxembourg), Leslie Thomas (pour le CNC français). Cette rencontre avait pour but d’échanger sur les différentes politiques mises en places dans leur pays respectif à propos de la place des femmes dans l’industrie cinématographique. L’échange commence avec Anna Serner, qui explique que l’institut suédois du film compte le nombre de femmes dans l’industrie cinématographique depuis plusieurs années, et que cette méthode leur a permis de se rendre compte « à quel point la situation est mauvaise » avec 25% de femmes cinéastes en 2012. L’objectif, sur la durée, était donc d’approcher les 50%. Pour cela, le comptage est devenu un processus mensuel, pour avoir des projections dès le début de chaque année.

L’aventure sur le sujet, pour le Screen Ireland, a commencé plus tard qu’en Suède, selon Teresa McGrane. Une année fut importante cependant : 2016, qui a été nommée « year of the commemorations ». Pour cette occasion, le National Theatre a mis en place un programme de pièces qui s’inscrivait dans le cadre des commémorations (des événements de l’année 1916). Sauf qu’une seule pièce fut dirigée par une femme. Ceci a fait prendre conscience d’un problème, si bien qu’il a mis en lumière des problèmes similaires dans chaque corps artistique : pour les femmes cinéastes, pour les femmes écrivaines, etc… Depuis ce moment, le Screen Ireland s’est mis à examiner la situation, à converser sur la nécessité d’agir, puis à compter de manière régulière pour améliorer les chances. En Espagne, Elisa Rodriguez explique qu’il y a un accord depuis 2007 qui vise à réguler l’égalité des genres. Depuis, le ICAA s’est mis à observer le contenu des films, à labelliser les films, à créer une certification pour les films qui permettent la promotion de l’égalité des genres. Mais ce n’est qu’à partir de 2019 que l’ICAA a mis en place un fonds public, pour permettre à la production d’atteindre l’objectif d’égalité des genres.

Guy Daleiden du Film Fund Luxembourg rebondit sur le principe d’égalité des genres, qui n’était pas un objectif « initial » dans le soutien à l’art au Luxembourg. Encore moins dans l’industrie du cinéma, avec un centre national relativement jeune, puisqu’il n’a que 30 ans. Avec la jeunesse de l’industrie cinématographique au Luxembourg, Guy Daleiden explique que l’objectif n’a jamais réellement été l’égalité des genres, mais plutôt de trouver des gens qui souhaitent créer indépendamment de leur genre. Mais ces dernières années, des discussions ont été lancées pour examiner la situation dans leur industrie, afin de contre-balancer la situation. Guy Daleiden rappelle notamment que le Luxembourg est le pays européen qui fait le plus de co-production minoritaire, car l’industrie est trop petite pour parvenir à plus de 3 ou 4 co-productions majoritaires. Une industrie si petite qu’ils ne peuvent « forcer » des gens à devenir cinéastes, scénaristes ou même producteurs. L’objectif est donc de faire attention quels projets le Film Fund supporte, et de regarder attentivement quels projets sont choisis par les producteurs, et discuter constamment avec eux, pour attirer davantage de diversité dans la production.

Pour la France, Leslie Thomas confirme que le CNC a commencé à produire des données genrées à partir de 2014, et a mis en place depuis 2018 un « observatoire de la parité » dont l’objectif est de produire des statistiques sur l’emploi, les salaires et les aides attribuées pour les œuvres faites par des femmes. En parallèle de ces statistiques, et sous l’impulsion du collectif 50/50, le CNC a travaillé sur le « bonus parité » et sur une succession de mesures pour améliorer la place des femmes dans l’industrie française du cinéma. La première mesure emblématique est ce bonus de 15% sur les aides pour les films qui présentent la parité sur les postes principaux de tournage. Une mesure qui fonctionne assez bien, car sur tous les films produits en 2020, 34% ont obtenu ce bonus contre 22% en 2019. Leslie Thomas mentionne tout de même qu’il s’agit d’un dispositif qui s’inscrit dans le moyen-terme, et non dans le long-terme. Pour en apprendre davantage sur les actions et mesures des Centres Nationaux de Cinéma Européens, nous vous conseillons vivement d’aller voir l’échange en replay, sur la page facebook du festival (en date du 17 Décembre).

C’est la fin de cette 12ème édition, pour nous. Ce fut un énorme plaisir de vous partager, une nouvelle fois, nos découvertes et nos sensibilités au sein de la sélection de Les Arcs Film Festival. Soyez certain que ce ne sera pas la dernière fois, peu importe la forme que doit prendre le festival. Ce Hors Piste fut une aventure étonnante, et nous sommes ravi de son succès comptant plus de 40 000 visionnages en une semaine ! L’importance et le succès du festival n’est donc plus à prouver, nous ne pouvons donc que leur souhaiter un avenir encore plus radieux. Nous concernant, c’est toujours un bonheur de participer et de promouvoir le festival à notre humble échelle. En attendant la 13ème édition dans un an, nous vous rappelons que le festival continue, car vous pouvez encore regarder des films (ainsi que ceux primés) jusqu’au 26 Décembre ! Profitez-en donc, car les diffuseurs du cinéma ont plus que jamais besoin de votre soutien dans ces temps difficiles. Malgré la tristesse de ne pas vivre cela ensemble physiquement, soyez en sûrs : nous nous reverrons sur les pistes.