Tout commence par un rappel historique : la crise de la Monarchie en 1837 quand William IV « le Roi Marin » s’est retiré à Windsor. Le premier nom sur la liste des héritiers pour le trône est la jeune Victoria, alors âgée de seulement 18 ans, sa nièce. Dès le début de l’épisode pilote (exceptionnellement de 70 minutes, pour 40 minutes pour les suivants) la musique s’impose comme un marqueur d’ambiance. Posée sur les plans d’un cavalier dont le cheval court à grande vitesse vers le palais de Kensington (où réside l’hériter direct au trône), elle incite déjà à l’immersion dans le décor. En prenant le point de vue de plusieurs personnages secondaires en quelques secondes, l’esthétique épouse le sentiment d’un bouleversement dans la vie quotidienne : les plans sont courts et la musique perdure dans chaque espace.
C’est une idée qui va traverser tout l’épisode pilote, dont l’ambiance est un concentré d’émerveillement (renforcé par la jeunesse innocente et presque cynique de la protagoniste) et d’hostilité (les rapports entre la protagoniste et sa famille, le regard du peuple et de la cour). Il s’agit là d’une esthétique bien léchée juste propre et modeste, offrant la nostalgie d’une richesse surdimensionnée du palais (voir la récurrence des questions sur le changement des bougies, la salle de bal, l’opposition entre aile nord et aile sud, etc), avec des changements de point de vue réguliers et attendus. Même si la plupart des répliques manquent de consistance et de ténacité, l’esthétique prône l’immersion totale. Un peu comme une série pop-corn qui ne se place pas dans les questions noires de la société britannique, mais qui se positionne dans les histoires mélodramatiques intérieures à la cour. Pour cela, Daisy Goodwin (la créatrice et scénariste) établit une palpitante reconstitution de l’intérieur du palais, ainsi qu’une impressionnante reconstitution de Londres. Les moyens semblent considérables pour réussir à livrer une forme et une scénographie aussi soignées.
Le seul vrai souci est moins la non prise de risque esthétique, que le rendu trop brouillon du récit. La narration de l’épisode pilote s’étend sur deux ans. Alors que des séries comme DOWNTON ABBEY ou sa rivale actuelle POLDARK proposent des intrigues dans un seul intervalle de temps par épisode, voire par saison, VICTORIA va trop vite. Elle ne prend jamais le temps de s’attarder sur ses personnages secondaires, ne donne aucunement l’occasion de poser les intérêts de ceux-ci, tels des pions d’une partie d’échec qui ne servent qu’à dessiner les routes vers la reine. Ainsi, l’épisode pilote n’est vraiment percutant que quand il prend le temps, lors de certaines scènes, de créer des confrontations à multiples personnages (présentation à la chambre des lords, le bal, le passage en revue des troupes, etc). Il est fort à espérer que les épisodes suivants n’auront pas autant d’ellipses qui défavorisent l’évolution psychologique de la protagoniste. En effet, sa progression passe trop facilement (et malheureusement) d’une jeune demoiselle plein de potentiel à une jeune fille aux attitudes puériles habitée par les rancoeurs. Les spectateurs connaissant déjà un peu l’histoire des débuts de la reine Victoria seront les plus fortunés, car à force d’éparpiller les idées (bien qu’intéressantes), l’épisode pilote manque d’ampleur dramatico-historique.
Et parce que l’épisode manque d’un dynamisme certain en éparpillant ses idées dans un temps trop vaste, il y a un manque cruel de sensation. Même si les personnages secondaires sont sous-développés (la plupart présentés comme de simples antagonistes, des servants aux intentions non abouties, etc), leur place est réelle. Il est fort à parier que tous les soucis concernant les personnages secondaires seront résolus dans les épisodes suivants. En attendant, le manque de sensation et de dynamisme est due à une écriture trop en surface. Malgré le manque de finesse, l’intrigue est très cohérente et prouve qu’il y a une grande dramaturgie interne à venir. La série (dont la saison 1 compte 8 épisodes) peut absolument compter sur son interprète principale Jenna Coleman. L’actrice surtout révélée avec DOCTOR WHO, porte l’épisode pilote sur ses épaules comme la reine Victoria s’est imposée comme un grand nom : la reine était peu élégante et petite, mais elle a tout de même donnée son nom à une époque (l’ère victorienne).
La saison 1 s’annonce palpitante de nostalgie, agréable et divertissante du point de vue esthétique, passionnante dans le récit. Néanmoins, elle semble ne donner aucun bon signe sur une possible longévité à la DOWNTON ABBEY (6 saisons en 6 ans). Annoncée comme son héritière, elle a encore pas mal à apprendre de la série de Julian Fellowes.
VICTORIA créée par Daisy Goodwin. Avec Jenna Coleman, Tom Hughes, Catherine Flemming, Daniela Holtz, Paul Rhys, Rufus Sewell. Grande-Bretagne / ITV / 2016.