Cigare au miel, de Kamir Aïnouz

Pour son premier long-métrage en tant que réalisatrice, Kamir Aïnouz raconte l’histoire de Selma qui vit avec ses parents à Neuilly-sur-Seine. Tout se déroule en 1993, au sein de cette famille berbère et cultivée. Alors que le fondamentalisme émerge dans leur pays d’origine, Selma rencontre un garçon. Mais elle sera vite rattrapée par le patriarcat, par les règles que lui impose sa famille, contrôlant sa vie (aussi bien privée que professionnelle). CIGARE AU MIEL est alors une quête de liberté pour Selma, qui la recherche en sortant du foyer familial, pour aller vivre des moments avec des amis. Dans le cadre très strict de l’espace familial, Selma n’est pas à l’aise. Pour s’en sortir, elle doit sortir, et va passer du temps avec les autres jeunes de son âge. Cette jeunesse qui, pour parvenir à une sensation de liberté, se déchaîne dans l’exubérance des soirées où règnent musique et alcool. Mais Selma n’est totalement intégrée à cette jeunesse qu’elle fréquente, parce qu’elle garde un secret en elle. Pourtant, il y a un fil rouge tout au long du film : elle lutte pour avoir le contrôle de sa vie.

C’est la flamme du désir qui brûle, d’abord celui d’émancipation. Alors que ses parents lui imposent des règles, des comportements et même de rencontrer un jeune homme (pour ensuite songer à se marier), Selma est toujours dans la rupture avec eux, si bien que le ton finit toujours par monter. La mise en scène de Kamir Aïnouz a un certain tempo : il y a d’abord l’échange, s’en suit une volonté une rébellion de la part de Selma, avant d’aller vers les cris. Pour échapper au tourment que représente le cadre familial, avec ses règles et ses traditions, Selma veut assouvir un désir lié au corps. Il est possible de parler de désir sexuel, mais ce n’est pas totalement le cas. Il s’agit davantage d’un désir organique, où Selma reprend le contrôle de corps et l’amène là où elle le souhaite. Comme si ce désir organique est un dernier objectif à concrétiser vers la liberté. Il y a alors constamment une opposition : Kamir Aïnouz prend le soin de distinguer l’espace familial plein de tourment, avec l’espace libre qui serait le monde extérieur. Ce dehors, dans lequel Selma s’échappe pratiquement tous les jours, à la découverte de son corps, comme un affranchissement du réel qu’elle ne supporte plus.

Déjà dans le cadre, Kamir Aïnouz filme le corps de sa protagoniste de près, pour bien identifier l’écrasement qu’elle subit de la part des personnes qui l’entourent. Que ce soit sa famille ou les jeunes hommes qu’elle rencontre, Selma est constamment prisonnière d’une autorité ou d’une violence. Évidemment et heureusement, CIGARE AU MIEL n’est pas composé uniquement de gros plan, la cinéaste laissant de beaux moments à sa protagoniste pour s’échapper, pour se découvrir, pour vivre. Mais il y a une unité poétique dans tout cela, avec une photographie très soignée entre le romantisme et le fantastique. Un romantisme parce que la cinéaste prend le point de vue de la sensibilité et de l’émotion pour suivre le corps de Selma. Puis un côté fantastique, avec ce mélange de couleurs appuyées qui plongent Selma dans le cauchemar de son quotidien : comme si chaque scène dans le cadre familial est sur le point de tout faire exploser. Entre ceux deux états, le corps est en pleine errance (et pas que celui de Selma, celui de la mère également) dans les fluctuations des sentiments. La recherche de la liberté passe par la quête d’affection, qui semble se dissiper au profit de la violence.

Bien que le film tend, dans ses vingt dernières minutes, à créer une rupture totale avec tout ce qui a été exploré, la mise en scène est elle-aussi écrasée. Le problème avec la recherche de liberté est qu’il y a toujours des confrontations avec les personnages. De cette manière, CIGARE AU MIEL perd progressivement de vue son rapport à l’organique qui fait son charme dans ses premières séquences. Les corps se montrent de plus en plus hostiles les uns envers les autres, plutôt que de continuer à garder / montrer cette douleur organique intime. Une mise en scène qui pourrait être le résultat d’un processus narratif qui tombe vite dans la facilité. Alors que Selma est en recherche de liberté par rapport à sa vie et à son corps, le film semble tomber dans le piège du cycle de la confrontation. Comme si la fiction s’emprisonnait autant que le corps de Selma est écrasé, dans un rythme très mécanique qui alterne entre l’expérience solitaire et la confrontation avec l’entourage. Le long-métrage initie de très belles idées esthétiques, avant de s’abandonner complètement au mécanisme étriqué de la narration.


CIGARE AU MIEL ; Écrit et Dirigé par Kamir Aïnouz ; Avec Zoé Adjani-Vallat, Amira Casar, Lyes Salem, Louis Peres, Idir Chender, Axel Granberger ; France ; 1h40 ; Distribué par Paname Distribution ; Sortie le 6 Octobre 2021