Il est impossible de se lasser de Frederick Wiseman. Peu après la ressortie de TITICUT FOLLIES, son tout premier film, EX LIBRIS est à nouveau l’exploration d’une institution. Contrairement à AT BERKELEY, à PUBLIC HOUSING, ou même à IN JACKSON HEIGHTS, ce nouveau film n’est pas rempli de désillusion. EX LIBRIS est le portrait d’un idéal, celui de Wiseman. Le film mélange habilement l’aspiration sociale (et sociétale) avec les cauchemars qui en sont la cause. Ce long-métrage de 3h17 est une épopée, celle d’un cinéaste qui s’efface de plus en plus au profit de l’intelligence du spectateur. C’est l’épopée de nos esprits, où l’imaginaire est confronté aus mouvements continus de la politique et du politique. Comme si, avec EX LIBRIS, il s’agit de re-découvrir le monde dans lequel nous vivons tous. Dès la première scène, le-la spectateur-rice est immergé dans la Bibliothèque de New York. Ce n’est pas un hasard non plus que cette première scène contient un discours de tolérance fort. Wiseman nous invite à la re-découverte d’une histoire culturelle.
En allant filmer les sites annexes à la Bibliothèque principale, Wiseman crée une grande toile pour la culture. Son idée est notamment d’ouvrir la culture en dehors des murs, de l’étendre ou même de la répandre. Pas que physiquement, mais aussi via l’imaginaire. Quand Wiseman filme quelques minutes les gens posés dans le parc à côté de la Bibliothèque (comme sur l’affiche), il peint ces personnes qui ont des attitudes des plus ordinaires. Toujours sans faire le moindre commentaire, toujours sans musique additionnelle, toujours en basculant habilement d’un montage parallèle à un montage alterné, Wiseman offre plusieurs regards / plusieures options / plusieurs récits permettant de faire résonner son propos dans chaque espace capté. Mais surtout, celui lui permet au sujet filmé (ici la connaissance, la culture, le rassemblement autour de ces deux entités) de s’exprimer par lui-même, de ne pas être détourné. L’autonomie du sujet rend possible l’immersion du-de la spectateur-rice.
Une immersion dans une foule d’autres personnes car il s’agit de capter l’échange d’idées, le partage de connaissances et la découverte d’intentions. Wiseman cherche à créer un rassemblement de personnes diverses, après l’illusion filmée dans IN JACKSON HEIGHTS. Ainsi, rien de mieux que de filmer dans une bibliothèque. Le concept du commun, sur lequel travaille ici Wiseman, est une manière de former cette unité humaine dont il rêve. En y attachant tout type de personne, tout type de métier (il y a même une scène avec des comédien-ne-s de théâtre qui viennent éplucher des archives pour chercher de l’inspiration), Wiseman place la culture comme noyau du rassemblement, comme le fer de lance de l’union.
Pour cela, il continue à capter la parole dans ses moindres détails, dans ses grands et petits discours, mais aussi dans ses silences. Élément prioritaire dans la narration chez Wiseman, la parole traverse chaque idée et idéologie évoquées. Sauf que le cinéaste fait un contrepoint, il nous induit en erreur avec son titre de film. EX LIBRIS, terme qui désigne la mention de l’auteur dans une oeuvre. Le sous-titre NEW YORK PUBLIC LIBRARY n’est donc que anecdotique, ce n’est qu’un chemin pour situer l’action dans l’espace. Cependant, Wiseman se sert de cette bibliothèque pour faire de l’art sa principale arme pour parler de politique. A travers la parole, le film nous raconte que parmi tout le matériel culturel (physique ou immatériel), le plus beau reste la parole dans le et la politique. Mais attention, aucun discours social dans ce film n’est lourd ou pesant. Tout est dans la délicatesse : Wiseman sait très bien filmer ces moments d’entraide, de soutien, d’apprentissage collectif parce qu’il y pose un regard joyeux. Ce regard parce que le cinéaste a bien compris que ce qu’il filme dans la politique, ce sont des questions et des idées sans fin, qui n’ont pas de réponses simples.
Avec EX LIBRIS, Wiseman est encore et toujours (heureusement, car c’est sa grande force) dans l’exploration de l’art de vivre. C’est comme s’il arrivait à fusionner certains de ses films, comme s’il avait réalisé un mélange entre la parole et les thèmes sociaux de PUBLIC HOUSING ou mieux IN JACKSON HEIGHTS, avec l’esthétique de NATIONAL GALLERY. Avec EX LIBRIS, Wiseman est à un point culminant de son art, de son oeuvre. Tout simplement parce qu’il se sert de ce service public (qu’est la Bibliothèque de New York) pour se frayer un chemin dans le multi-culturalisme que sont les États-Unis. Ce n’est pas pour rien que, le quartier nommé Jackson Heights, se situe aussi à New York. En quelque sorte, EX LIBRIS permet d’offrir des fragments historiques d’identité à des personnes qui ressemblent à celles de IN JACKSON HEIGHTS, tout en leur montrant la voie vers la poésie culturelle (libre et gratuite) comme avec NATIONAL GALLERY.
C’est là que EX LIBRIS, avec son esthétique, fonctionne comme une épopée. Que ce soit à travers l’identité, le social, et la culture. Toujours en plan fixe, avec plusieurs plans-séquences lors de certains discours, le grand écran apporte une dimension particulière à ces personnes filmées et à cette connaissance. Soudain, ces questions sociales dépassent l’imaginaire et le spectateur en salle, qui devient tout petit. Avec une grande mise en lumière, avec ces décors très poétiques mais aussi offrant des millions de possibilités de découverte, EX LIBRIS est une passerelle qui ouvre les portes des rêves. Le film s’appuie sur un montage aux plusieurs couleurs : soit large sur le collectif (quand il s’agit de culture) soit rapprochée sur l’individuel (question sociale et/ou d’identité). Mais surtout, l’esthétique du film se confond avec la vitalité de la connaissance et celle du partage.
EX LIBRIS : NEW YORK PUBLIC LIBRARY de Frederick Wiseman
Pays : États-Unis
Durée : 3h17
Sortie française : 1er Novembre 2017