Après un tragique incendie dans la discothèque Colectiv Club à Bucarest en 2015, de nombreuses victimes meurent dans les hôpitaux des suites de blessures qui n’auraient jamais dû mettre leur vie en danger. Après le témoignage d’un médecin, des journalistes d’investigation enquête et se met à dénoncer la corruption massive au sein du système de santé publique. Alexander Nanau suit le travail des journalistes, ainsi que les décisions prises par les personnes en poste au gouvernement. L’AFFAIRE COLLECTIVE traite donc d’un sujet fort, qui place le journalisme au cœur du dispositif. Le documentaire rend évidemment hommage au journalisme, à ce qu’il a d’essentiel dans tout ce qu’il peut révéler, mais aussi en tant que contre-pouvoir démocratique. Dès le début, le cinéaste crée l’immersion dans cette équipe de journalistes qui échange les informations, constate des révélations, tout en poursuivant leur enquête en s’aventurant dans plusieurs lieux différents. La salle de réunion des journalistes devient même un espace récurrent du film.
Toutefois, le documentaire ne va pas vraiment au-delà de l’hommage au journalisme, ne prenant même pas le soin de décortiquer tous les rôles différents au sein de cette enquête. Ce qui compte, ce sont les faits révélés par les journalistes. Progressivement, il est clair que L’AFFAIRE COLLECTIVE est moins un film sur le journalisme, qu’un film qui utilise le tragique incendie pour être un manifeste politique. C’est ainsi qu’il faut attendre trente minutes avant d’avoir une image de cinéma : une séance photo très sensible, dont l’esthétique brûlante n’a besoin d’aucune parole pour exprimer la douleur ressentie par la personne filmée. C’est lorsque le film regarde de près la tragédie intime qu’il est le plus captivant et le plus intéressant, ce qui n’arrive pas souvent. Parce que la majorité du temps, Alexander Nanau réalise une captation illustrative de cette enquête journalistique. Sa caméra suit scrupuleusement les journalistes qui travaillent sur l’affaire, dans les moindres espaces, pour les observer et les écouter énoncer les faits nouveaux. De manière banale, la caméra les suit des salles de réunion à leur bureaux, en passant par la salle des conférences de presse, etc.
Le cadre n’a absolument rien à dévoiler des personnes qu’il filme, il n’a rien à explorer du monde journalistique (ni même du monde politique en opposition). Alexander Nanau est dans la plus simple observation, dans l’accompagnement des personnes liées à l’affaire. Chaque image qui n’est pas de l’ordre de l’intime (cet arc narratif autour d’une femme brûlée est bouleversant et d’une rare beauté) n’est qu’un enregistrement vidéo de l’avancée de l’enquête. L’AFFAIRE COLLECTIVE se contente des faits et de son propos de départ, celui de dénoncer un système politique corrompu. Sans jamais aller plus loin, parce que l’image ne peut rien faire face à un schéma narratif qui est déjà programmé en avance. Alors qu’il y avait matière à explorer le ressenti provoqué par cette corruption et cette affaire (comme une vibrante mais très courte scène de manifestation, ou ce petit arc narratif sur une femme gravement brûlée), le documentaire multiplie les ellipses et les espaces pour aller à l’essentiel et ne présenter que les constats. Il n’y a jamais aucune ardeur dans cette situation, parce que l’opposition entre journalisme et politique est déséquilibrée dès le début. Alors que le journalisme aurait pu être un moyen de créer une percée (avec la caméra) dans le monde politique, le montage se contente de créer une dichotomie, de leur donner leur « partie » dans le film. Là où Mark Ruffalo servait d’intermédiaire et la caméra de surgissement de l’entre-deux dans DARK WATERS de Todd Haynes, là où Steven Spielberg met en scène PENTAGON PAPERS comme un film de guerre, L’AFFAIRE COLLECTIVE manque terriblement d’une ambition esthétique pour ressentir la tragédie derrière l’enquête.
L’AFFAIRE COLLECTIVE (Colectiv) ; Dirigé par Alexander Nanau ; Roumanie / Luxembourg ; 1h49 ; Distribué par Dulac Distribution ; Sortie le 15 Septembre 2021