Nuits blanches sur la jetée

Écrit et Réalisé par Paul Vecchiali. Avec Pascal Cervo, Astrid Adverbe, Genevieve Montaigu, Paul Vecchiali. France. 94 minutes. Sortie française le 28 Janvier 2015.

Le film a tout de la première fois. La première rencontre, la première passion, le premier long-métrage, le premier véritable amour, etc… Parmi toute la philosophie qui ressort du texte, le film est comme ce petit produit qui sort de nulle part, tout plein d’ambitions mais en faisant le minimum. Sauf que Paul Vecchiali n’est pas Rebecca Zlotowski, Yann Gonzalez & Cie. Le cinéaste a déjà une belle carrière derrière lui, du haut de ses quatre vingt ans. Avec trois acteurs seulement, le cinéaste français porte haut un cinéma qui s’interroge sur lui-même, en explorant l’amour par la même occasion.

Une mise en scène en lutte
Je rappelais, dans ma critique du film DIPLOMATIE, que le Théâtre n’est pas une tare pour le Cinéma. Je ne sais pourquoi je me sens de devoir le répéter. Mais il est important de souligner que la théâtralité d’un texte au Cinéma est source d’approche, tout simplement. A t-on déjà condamné Alain Resnais pour cela ? Je ne crois pas. Il faut entendre ici que le film de Paul Vecchiali adopte cette forme de ton durant toute sa longueur. Cette option de ton est lancée dès la première scéne, où Pascal Cervo discute avec le vieil homme. Ils ne bougent pas, et débitent leur texte. Puis, la nuit arrive et s’installe durablement. Tout le défi proposé à la mise en scène est suggéré dès le début.

La mise en scène sera constamment en lutte dans le film. Comme dit précédemment, l’immobilité des acteurs est l’une des options les plus évidentes. Sauf que cette staticité est un faux semblant. A travers le texte et le regard des acteurs, on comprend que les personnages sont en train de bouillir de l’intérieur. Leurs pulsions sont retenues, et entretiennent ainsi le mystère qui plane sur leur personnalité. Leur staticité s’effectue aussi via des allers et venues incessants. Il n’y a pas beaucoup d’évolution dans les plans tout au long du film. Et c’est à nouveau le défi du film : comment faire progresser le récit tout en gardant le même postulat ? De cette manière, Paul Vecchiali va faire cogiter ses personnages dans des incertitudes et des instants de grâce.

Durant les quatre nuits récitées dans le film, les personnages se rejoignent toujours sur cette jetée. Là où le phare s’élève, et les décompose par sa lumière verte, les personnages s’inscrivent dans cet endroit qui devient leur source de relâchement. C’est ici que les personnages se dévoilent, qu’ils ne passent pas dans d’étroites ruelles tout en discrétion. Sur cette jetée, ils relèvent la tête, s’accrochent l’un à l’autre, et font ressortir leurs émotions. Quelque chose de pas facile, sachant que la jetée est entourée de flous : un espace qui se voit séparé de l’action de la ville par l’eau. D’un autre côté, cette jetée se révèle comme l’espace où tout devient fascinant, où l’espace enfermé s’ouvre aux êtres.

Un songe dans la rupture
Cet enfermement qui s’ouvre, ne peut être que la métaphore parfaite du songe. Là où un autre monde surgit dans un environnement immobile (le rêve pendant le sommeil). Le songe fait référence au choix de la nuit pour conter une histoire d’amour. Le charme de la fraicheur du soir, sous les étoiles, où les êtres déambulent sous les lumières de la ville. Toute la poésie de l’amour est présente dans le film. Ce songe est également représenté dans le désir progressif que contiennent chacun des personnages pour l’autre. C’est le récit constamment inachevé à chaque nuit, où le retour à la jetée est toujours un retour à zéro.

Cette forme de rupture dans l’ambiance est le coup de maître du film (avec la mise en scène qui lutte contre elle-même). Ne serait-ce que dans le montage, quand Paul Vecchiali casse totalement sa dynamique en ajoutant des plans de la ville le jour. Mais bien plus important pour le récit, la scène de danse vient projeter l’approche des personnages dans une nouvelle direction. On passe soudainement de la philosophie à la tendresse grâcieuse. Les deux ne sont pas incomptatibles, évidemment. Au contraire, la danse se présente comme la transition entre deux actes théâtraux, où on préserve l’esprit dans une ambiance nouvelle. Par contre, le plus intriguant dans le film reste la condition du personnage principal féminin. La plupart du temps dans l’ombre, elle est rarement dévoilée en entier. Que ce soit l’apparition d’une partie (verticale ou horizontale) du visage, l’apparition des mains, … on n’a surtout l’impression d’être face à une apparition fantasmagorique. Comme si, l’existence de ce personnage féminin est remise en question (le songe veut aussi cela).

Pour continuer sur l’ambiance inculquée, la lumière est un point central du travail du cinéaste. Paul Vecchiali semble être sans cesse en pleine réflexion sur l’utilisation de la lumière. En particulier sur le « quoi éclairer », le « qui éclairer » et le « comment éclairer ». C’est à partir de là que l’on comprend comment le personnage principal féminin est un point d’interrogation. Est-ce un élément réel de l’échappée du protagoniste masculin ? Ou est-ce le pur produit de son imagination, pour échapper un temps à la réalité ? C’est grâce à l’ambiance esthétique que le spectateur est invité à participer au film. Et ça, c’est brillant. Autre chose passionnante dans l’utilisation de la lumière, c’est le détachement créé entre le décor et les personnages. Ils sont comme arrachés à leur environnement, pour être transportés et laissés virevolter dans leur songe passionné.

La subtilité de l’évidence
A côté de cela, on pourrait beaucoup crier sur le découpage et le montage du film. Énormément de plans fixes, économie de changement de points de vue, des champs / contre-champs bien classiques, et un style marqué par l’absolu hasard amené par le plan-séquence. On sent les premières prises dans ces plans séquences, qui ne montrent tout de même que très peu d’improvisation. Tout le découpage, et ainsi le montage, devient un prétexte à l’instantané des attitudes des personnages. Comme si rien ne pourrait modifier les faits, que le contrôle n’est pas permis (retour encore à l’idée de songe). A noter également que cet instantané est marqué par une caméra prônant des échelles immersives. Le spectateur est placé très souvent aux côtés des personnages, voire à leur place lors des champs / contre-champs. Une manière de re-définir la subjectivité des plans, et de tourner l’évidence (ou classicisme) des plans dans une subtilité qui se cache.

Le seul petit défaut que l’on pourrait lâcher au film, c’est sa scène en Noir&Blanc. Un souvenir qui vient comme une démonstration d’une émotion. Alors que, auparavant, les histoires personnelles du passé des personnages n’était que dans l’évocation. A ces passages, le film permettait au spectateur de faire son propre songe. En quelque sorte, le spectateur avait le droit d’imaginer hors-champ un autre récit que celui évoqué. Alors que dans cette scène en Noir&Blanc, tout est imposé. Même l’esthétique des deux couleurs pour bien marquer la différence spacio-temporelle. Dommage, ça peut faire sortir du film.

4 / 5