Un son à mi chemin entre l’acouphène et l’écho, qui se propage entre les arbres et leurs feuilles. Un mouvement vers l’avant dans la forêt. Les bruits d’oiseaux qu’on ne voit pas. Un peu de brouillard, et une couleur verte éclatante. SLAM commence tel un songe abstrait à la première personne dans une forêt. Puis, après l’apparition du titre, le songe laisse place à un visage féminin sur un fond noir. L’imaginaire des images laisse place à la puissance de la parole, dans un poème à mi-chemin avec le pamphlet. Déjà deux images fortes. Ensuite, le film est plus sobre que son prologue, prenant la direction de l’observation. Celle notamment d’une scène où le protagoniste Ricky est à une soirée chez ses beaux-parents et des amis, sans être très à l’aise dans cette ambiance bourgeoise. Jusqu’à ce que la narration amorce un mystère digne des thrillers, avec une disparition. Alors que l’exposition des personnages suit son cours (Ricky est musulman, né en Palestine, parti en Australie avec sa mère et sœur, ayant désormais sa famille avec son épouse enceinte et une petite fille), la dimension thriller du film n’est qu’une petite goutte. Alors que la mère s’inquiète de l’absence de sa fille qui n’est pas rentrée, Ricky part voir sa mère et relativise (elle va surement bien, peut-être chez un-e ami-e, etc… ne s’inquiétant pas énormément de ne pas réussir à la joindre au téléphone). Sa manière de relativiser se ressent dans les images, sans aucun risque ni excès, utilisant l’observation, les plans subjectifs et les champ/contre-champ pour montrer les mouvements de Ricky.
Le plus gros soucis du film est cette forme d’attentisme qui est exactement celle dont fait preuve Ricky. Le protagoniste est devenu très distant de sa mère et de sa sœur, tout en essayant de renouer les liens à travers la disparition de sa sœur. Sauf qu’à force d’être dans la distance, le film semble ne pas chercher à entrer en profondeur dans son sujet (le racisme, la violence et l’injustice). Tout se passe dans le scénario, dans la parole. Alors que Ricky a épousé Sally, une australienne de peau blanche dont les parents sont riches, sa mère et sa sœur vivent dans la marginalité et dans les difficultés socio-économiques. Le récit semble vouloir nous faire comprendre qu’il existe deux camps, et que Ricky est parti se conformer dans celui opposé à sa mère et sa sœur. Alors qu’il essaie de revenir pour retrouver sa sœur, il subira lui-même les pressions, la violence, l’injustice et le racisme. Comme une impossibilité de trouver un entre-deux. Avec la disparition de sa sœur, Ricky attirera toutes les attentions (médias et police) sur lui et sa famille (sa femme et sa fille), par rapport à sa religion. Comme si la vie ordinaire est rattrapée et saccagée par la violence et le racisme. SLAM parle avec ferveur de la pouvoir de la parole, et notamment du pouvoir qu’ont certaines personnes de faire taire les gens (que ce soit un supérieur hiérarchique, un beau-père riche, etc…).
Cette ferveur du discours permet à Partho Sen-Gupta de montrer un point de vue féminin, avec celui de Joanne Hendricks – agent de police qui ne s’arrête pas à des suppositions concernant la disparition d’Ameena. Elle confronte le pouvoir masculin, notamment celui qui lui est supérieur hiérarchiquement, pour essayer d’apporter des nuances et d’autres pistes de réflexions. Elle essaye, avec détermination mais avec impuissance, car elle est aussi confrontée à la misogynie et au racisme ambiants. Il y a la même forme d’impuissance dans le quotidien de Ricky, qui voit le temps passer mais pas sa sœur revenir / retrouvée. Toujours dans la distance, il semble vivre dans une temporalité suspendue, comme si le thriller imprégné de racisme et de violence stoppent sa vie. Mais en abordant le point de vue d’un personnage dans la distance en permanence, sans jamais offrir d’options à son protagoniste, le film est aussi dans sa bulle en suspension, ne sachant pas vraiment où aller, en déroulant son récit de thriller de manière très programmatique. Ce qui rend l’impuissance et la dénonciation de violence très didactiques. Faisant parfois surgir des images cauchemardesques sur fond rouge, SLAM n’a pas grand chose à offrir d’autre qu’une observation de l’attentisme. Se contentant de dénoncer petit à petit, progressivement par de courtes scènes de plus en plus violentes, Partho Sen-Gupta ne montre rien de l’intimité de ses personnages, rendant leur vie très anecdotique sans aucune étude de personnage.
Optant pour un regard observateur tout au long du film, les images sont à distance d’absolument tout : le doute, l’inquiétude, l’angoisse, la violence, la résignation. La caméra filme toutes les émotions et toutes les ambiances avec la même distance, devenant totalement laborieuse quand il s’agit de décrire une gravité et une rage intérieure. Alors que le film cherche à dénoncer la violence, la photographie n’est jamais reliée à une atmosphère entre les personnages, et le cadre est juste un témoin des mouvements des corps. Il y a de belles amorces partout dans le film, mais jamais aboutie formellement pour que le film prenne une dimension aussi forte que le caractère de ses deux protagonistes. Tout simplement parce que SLAM semble toujours parler d’autre chose que ses personnages, de toujours vouloir atteindre un discours au dépit de l’intimité de ses personnages. Ainsi, les personnages ne sont que des représentations d’idées, ne permettant pas d’emmener les images vers ce que la violence et le racisme révèlent d’un imaginaire intime impossible dans un réel subit. Le discours ne s’oublie pas, mais les images se confondent toutes, ne grattant que la surface du discours et du point de vue.
SLAM ; Écrit et Dirigé par Partho Sen-Gupta ; Avec Adam Bakri, Rachael Blake, Rebecca Breeds, Darina Al Joundi, Danielle Horvat, Abbey Aziz, Damian Hill, Lourdes Abdishou, Julian Maroun ; France / Australie ; 1h55 ; Distribué par Wayna Pitch ; Sortie le 1er Décembre 2021