Dans la course au bon scénario, l’adaptation d’un roman est souvent une solution de facilité très appréciée au cinéma. Et lorsque l’histoire provient d’un livre vendu à près de cinquante millions d’exemplaires dans le monde et devenant un véritable phénomène, le film qui en est tiré est forcément très, très, très attendu. Surtout quand une polémique s’est greffée autour, renforçant au final la promotion de The Da Vinci Code, et que les premières critiques, loin d’être unanimes, ne se sont pas empressées d’applaudir le film mais à l’inverse l’ont parfois qualifié d’ennuyeux, voire de raté, grotesque ou risible. A l’instar du roman, son adaptation cinématographique nécessite presque autant un décryptage pour démêler le vrai du faux, identifier le bon et le mauvais.
Adapter un livre, ce n’est jamais gagné d’avance.
Qu’on se le dise encore une fois : le plus formidable des romans ne fait pas forcément le plus formidable des films. Certains sont plus facilement adaptables que d’autres (surtout que certaines histoires sont parfois écrites comme de véritables scenarii), et il y a des adaptations plus ou moins talentueuses. En ce qui concerne le Da Vinci Code :
– est-il facilement adaptable au cinéma ? non.
– l’adaptation est-elle talentueuse ? non.
Car il faut se rendre à l’évidence, Dan Brown n’a pas écrit son livre en pensant à un éventuel film (ou alors, il n’est pas doué) : gros pavé de 700 pages (en version livre de poche), il comprend de longs passages descriptifs pour malgré tout donner une histoire menée tambour battant à l’action omniprésente. Et néanmoins, la prouesse est d’aboutir à un livre qui se lit facilement avec ce mélange. Mais ce n’est pas pour autant que l’on peut en tirer un film aussi fluide. Ron Howard, le réalisateur de The Da Vinci Code, nous le montre brillamment.
C’est la raison pour laquelle, il est plus que jamais nécessaire de distinguer entre les personnes qui ont lu le livre et celles qui découvrent l’histoire sur grand écran. C’est autour de cette distinction que s’articulent les critiques positives et négatives du film, et c’est pourquoi, en allant très scolairement du général vers le particulier, cette critique va s’attacher au film en lui-même avant de le passer sous la lumière de l’adaptation.
The Da Vinci Code : un film long et inégal
Si la durée de 2h31 était presque inévitable, elle n’a pas forcément été parfaitement exploitée. Le film comporte de sérieuses longueurs, évidemment au moment des scènes descriptives. En revanche, sur la complexité de celles-ci, il n’y a pas vraiment de reproches à faire dès lors qu’il s’agit d’avaler les couleuvres du scenario comme celles du livre. On est intelligent ou on ne l’est pas ! Plus sérieusement, il n’est pas difficile de comprendre que Jésus était marié à Marie-Madeleine avec laquelle il aurait eu une fille, Sarah, mais que les instances religieuses ont décidé de passer cette descendance royale sous silence lors du concile de Nicée, en sélectionnant et en créant la religion que tout le monde connaît, mais que la vérité a été découverte par un groupe secret de personnes (Le Prieuré de Sion, les Templiers), menaçant le Vatican de révéler toute l’affaire en s’appuyant sur la dépouille de Marie-Madeleine et d’autres documents qu’ils ont en leur possession. Au fil des siècles, la Papauté et une organisation religieuse (l’Opus Dei) se sont évertuées à récupérer ces preuves pour les détruire, dont l’existence et l’emplacement (variable) ont été codés dans diverses oeuvres d’art (notamment celles de Leonard De Vinci, un temps grand maître du Prieuré de Sion, comme Isaac Newton et Victor Hugo par exemple).
Voilà, tout cela pour en arriver à notre époque, où la sûreté des preuves est on ne peut plus menacée par l’assassinat des seules personnes du Prieuré connaissant l’emplacement actuel des preuves, par un membre de l’Opus Dei, l’albinos Silas. Le dernier à être tué, Jacques Saunière, conservateur en chef du Musée du Louvre, se vidant de son sang, s’est retrouvé obligé de mettre en scène sa mort dans un langage et une position codés afin de communiquer son terrible secret aux seules personnes capables de perpétuer la mission du Prieuré de Sion (qui est de protéger les documents prouvant l’existence d’une descendance de Jésus, et la dépouille de Marie-Madeleine, afin qu’ils ne soient ni retrouvés ni détruits par l’Eglise catholique) : sa petite-fille Sophie Neveu, et Robert Langdon, un éminent professeur américain d’histoire des symboles à l’université Harvard.
Evidemment, un film, c’est aussi une affaire d’interprétation. Malheureusement pour nous, ce n’est pas la France qui fait briller les personnages. A commencer par Audrey Tautou, sacrifiée sur l’autel de l’adaptation du rôle de Sophie Neveu, qui nous livre un jeu d’actrice proche du pathétique dans certaines scènes, parfois même dans quelques répliques seulement, mais qui tiennent du « grotesque risible » comme effectivement on a pu l’entendre ou le lire. Autant dans le livre la jeune femme réussit à s’en sortir comme personnage principal, autant dans le film elle patauge au rang de second rôle permanent greffé au bras de Langdon où ses éclairs d’ingéniosité peinent à être relevés. Quant à Jean Reno, il livre une interprétation correcte mais sans éclat dans le rôle du commissaire Bézu Fache. Ce sont finalement les « petits » rôles qui s’en sortent le mieux : Etienne Chicot en convaincant lieutenant Collet même si ce n’était pas forcément comme cela qu’on pouvait l’imaginer, et Jean-Yves Berteloot dans le rôle de Remy, l’homme à tout faire de Sir Leigh Teabing.
Côté anglo-saxon, c’est justement Teabing, pourtant interprété par l’excellent Ian McKellen, qui manque un peu de saveur. En revanche, Alfred Molina et Paul Bettany sont tous deux excellents dans les rôles respectifs d’Aringarosa et de Silas qui leur permettent d’ajouter une nouvelle corde (originale) à leur arc. Robert Langdon est quant à lui hors catégorie : Tom Hanks pourrait jouer dans n’importe quel navet de toute façon, il interprète encore une fois brillamment son personnage et est pour beaucoup dans la crédibilité de l’histoire. En fait, il réussit à porter de bout en bout le film sur ses seules épaules. Voici pourquoi, quand on n’a pas lu le livre, The Da Vinci Code est sauvé par son histoire originale, ses décors, et son lot d’acteurs anglo-saxons, et mérite une note… correcte.
Et pour les millions de gens qui ont lu le livre…
C’est véritablement là où le bât blesse. Ron Howard est parfois fidèle comme une ombre au roman, mais il lui arrive aussi de prendre d’énormes libertés scénaristiques. Le pire étant qu’elles ont été cautionnées par l’auteur. Ce sont pourtant ces dernières que l’on remarque le plus, forcément, quand on a lu avec plus ou moins de passion le livre. Cela va du passable (et même de l’excusable, compte tenu de la lourdeur du roman), à de l’intolérable.
Ainsi, Robert Langdon est pris à parti par le lieutenant Collet lors d’une séance de dédicace de son livre, pourquoi pas. De même, les amateurs de belles voitures seront peut-être frustrés de ne pas avoir une revue complète du garage de Sir Teabing comme dans le livre, pour passer directement à la fuite en 4×4. La gent féminine en mal d’amour aura même remarqué l’absence du baiser de fin entre nos deux héros, pourtant un grand classique.
Un peu plus embêtants, les changements effectués par rapport au livre sans pour autant être nécessités : pourquoi tuer Rémy sur les docks au lieu de la voiture ? Pourquoi montrer autant de personnes du Prieuré de Sion en plus de la grand-mère de Sophie ?
Et puis il y a le grossier, l’incompréhensible, ce qui peut légitimement provoquer la colère du lecteur. Que devient le second cryptex par exemple ? même s’il est vrai que le film s’en sort correctement avec un seul. Que devient également l’installation de surveillance de Teabing dans son château de Villette, pourtant un élément-clé de l’histoire ? Et puis, pire que ces passages sous silence, il y a les déformations : Fache, membre de l’Opus Dei, explique à Collet que monseigneur Aringarosa l’a appelé pour lui révéler qu’il avait confessé le meurtrier de Jacques Saunière : Robert Langdon. Proprement n’importe quoi. Sans oublier, le passage “abracadabrantesque” de la recherche par mots-clés : au lieu de se dérouler avec un ordinateur dans une bibliothèque universitaire anglaise, elle a lieu depuis un téléphone portable d’un étudiant dans un bus londonien !!! C’est à se demander ce qui a pu passer par la tête de Ron Howard et Dan Brown pour en arriver à cette farce. Pour le lecteur, cela relève d’un déplorable détournement du scenario original. Car rappelons que le film comporte des longueurs, qui auraient pu au minimum être remplacées par des scènes un peu plus fidèles au livre. On comprend mieux les réactions de certains spectateurs dans les salles (des yeux ahuris, des petits rires nerveux…).
Un petit mot sur la polémique ?
Un des gros avantages du film est de montrer une faiblesse du livre que l’on ne remarque pas forcément lors de la lecture : l’analyse de La Cène, le célèbre tableau de Léonard De Vinci, sur lequel est fondée une bonne partie de l’histoire, nous est présenté aussi bien dans le film que dans le roman « pour argent comptant », comme s’il s’agissait d’une photographie d’époque de ce qui s’est réellement passé lors du dernier repas du Christ. Evidemment il n’en est rien, ni De Vinci de 1495 à 1497 ni d’autres artistes plusieurs siècles avant ou après n’ont pu connaître avec autant de détail l’évènement. Pourtant Sir Leigh Teabing n’accorde aucune considération à l’imagination de l’artiste et se borne à tirer des conclusions simplement à partir du tableau (bien moins crédible qu’une photo ou qu’une vidéo de l’époque…).
Pas de menace pour l’Opus Dei donc, ce n’est pas la qualité moyenne du film qui sauve l’organisation religieuse aux pratiques parfois plus que douteuses. C’est bel et bien l’histoire originale de Da Vinci Code (le livre) qui est bancale dès le départ, et dont le film, loin d’être réussi, a au moins le mérite d’apporter le recul nécessaire pas forcément présent lorsque l’on est plongé dans le sympathique roman.
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