Quand il s’agit de peindre la cruauté et la misère avec la dignité et la bienveillance, le cinéaste kazakh Emir Baygazin a prouvé être passionnant, tel un digne héritier de Michael Haneke. En Pologne, le cinéaste Tomasz Wasilewski montre qu’il n’est pas aussi doué. UNITED STATES OF LOVE est un film qui essaie, qui montre certaines voies de son intention, mais qui n’aboutit jamais à une décision. Alors que Emir Baygazin sait exactement quoi faire de ses personnages, afin de les quitter dans du concret qui finit par bouleverser leurs sensations, Tomasz Wasilewski regarde puis va voir ailleurs, comme les vitrines d’un magasin. Même Yesim Ustaoglu a fait mieux avec CLAIR OBSCUR, en mélangeant ses deux protagonistes (et donc ses deux récits) dans un regard plein de nuances qui se répondent.
Cependant, même si la cruauté n’est pas aboutie, UNITED STATES OF LOVE parvient, à travers la multiplicité des plans fixes, à suspendre le temps. En figeant l’action, c’est la cassure individuelle qui ressort à la surface. Dans le silence également : avec une bande sonore minimaliste, la suspension du temps est comme une série de photographies où la mise en scène tente de créer un échappatoire au cadre exposé. Des corps donc brisés, qui ressemblent à des corps vidés de toute essence solaire, dans une déambulation macabre. Le mélange cadre et photographie engloutissent et collent les corps au décor, en créant ainsi la perdition intime / la souffrance / la mélancolie.
Le problème vient de la mise en scène : là où elle tente de faire percevoir un échappatoire, elle est trop soumise à une espèce de fatalité. Comme si la mise en scène agit vainement, brassant de l’air, débutant une attitude pour expulser une tension esthétique, mais tout en y patientant. A force de suspendre le temps, la mise en scène devient sourde et fanée. Déjà qu’avec le jeu de miroir entre les plusieurs protagonistes (plusieurs récits différents) le rythme s’essouffle car le film s’efforce de recommencer chaque idée à chaque fois, la mise en scène ne trouve alors aucune finalité dans l’intimité. Comme si la mise en scène est un pétard mouillé, qui a du mal à faire imploser quoi que ce soit (même pas l’esthétique, vraiment trop lisse).
Ce grand défaut de mise en scène n’enlève en rien l’intéressante altérité proposée. Même si l’esthétique et la mise en scène se renouvellent et se copient de séquences en séquences, l’incarnation des attitudes est passionnante. Les quatre actrices principales sont très justes dans leur façon individuelle d’incarner une même émotion, une même sensation : les attitudes, la gestuelle, les postures, les regards, … changent et proposent différentes approches. Malgré la mélancolie qui se dégage de l’ambiance, les actrices montrent toute leur énergie personnelle pour dynamiter l’esthétique. Dans un même cadre, elles amorcent elles-mêmes l’apparition ou la disparition des couleurs.
UNITED STATES OF LOVE de Tomasz Wasilewski
Avec Julia Kijowska, Madgalena Cielecka, Dorota Kolak, Marta Nieradkiewicz, Andrzej Chyra, Marcin Czarnik, Lukasz Simlat
Suède, Pologne / 106 minutes / 5 Avril 2017