Réalisé par Panos Koutras. Écrit par Panagiotis Evangelidis. Avec Kostas Nikouli, Nikos Gelia, Yannis Stankoglou, Marissa Triandafyllidou, Aggelos Papadimitriou, Romanna Lobats, Patty Pravo. 130 minutes. Grèce. Sortie française le 18 Juin 2014.
<< A la mort de leur mère, Dany et son frère Odysseas prennent la route d’Athènes à Thessalonique pour retrouver leur père, un Grec qu’ils n’ont jamais connu. Albanais par leur mère, ils sont étrangers dans leur propre pays et veulent que ce père les reconnaisse pour obtenir la nationalité grecque. Dany et Ody se sont aussi promis de participer à un populaire concours de chant qui pourrait rendre leur vie meilleure. >>
Est-il encore possible de faire des films en Grèce ? En sachant la crise économique qu’ils subissent, cela est vraiment compliqué. En France, c’est bientôt notre tour… Panos Koutras nous livre un film sur un fond de sinistre social grec. Mais il a compris qu’il n’est pas utile d’appuyer trop sur le propos social. Pour cela, il intègre une histoire familiale dramatique. Une mère décédée, un père qui les a abandonné enfants : deux frères se retrouvent et partent à l’aventure. Ce film prend de grands airs d’influences venues de Pedro Almodovar. Voici un état des lieux en Grèce, sous forme de récit d’apprentissage.
Pour accomplir cette tâche, Panos Koutras crée deux frangins dont tout semble les opposer. L’un est exubérant, quand l’autre se soucie des conséquences. Mais une chose les réunis. Ils sont jeunes, et portent l’espoir de toute une génération. Celle qui grandit et apprend dans un pays ravagé. Pour ne pas trop s’enfoncer dans le drame facile, et l’empathie du fatalisme, Panos Koutas opte pour l’optimisme. Tout son film voit la vie d’un bon oeil. L’espoir porté par ces jeunes est l’espoir d’un peuple. Celui où la joie vient cacher la sombre époque qu’ils vivent. Quand l’amour, l’amitié, la musique, … viennent faire oublier le reste, le temps de quelques instants.
De cet optimisme, Panos Koutras ne peut aborder une mise en scène retenue et une ambiance froide. Tout est toujours sur l’énergie des personnages. Le film préfère se ranger du côté du burlesque, en jouant de la loufoquerie. Chaque situation est montée d’un degré, pour bien exagérer les difficultés sociales et économiques du pays. Les attitudes sont accentuées, et deviennent parfois même elliptiques. Même sur le texte, le film prend des risques. Dans la tête des personnages, tout est en bordel. Et leurs paroles, leurs actes reflètent cet état d’esprit. De là peut naître le burlesque.
Le problème de cette loufoquerie, c’est qu’elle n’ira pas très loin. Elle sert uniquement à égarer tout élément trop tragique. Le burlesque a tendance à vouloir s’unir avec une fantaisie. Mais Panos Koutras est trop porté par son propos de Grèce à la dérive. Il ne peut donc jamais gravir le point d’onirisme attendu. Chaque élément fantastique apparaissant dans le film, n’est qu’une bride de burlesque qui vient casser une évidence. Car, à chaque scène trop influencée ou attendue, Panos Koutras choisira une issue loufoque. Mais pas assez appuyée dans son intérêt pour la suite, pour tendre vers quelque chose d’onirique, de merveilleux.
En tout cas, ces nombreuses ruptures de ton rendent la narration plus agréable. Par tout ce qu’il traite, le film aurait pu s’enchainer à un film à scénettes sans lien. N’offrant que la chute finale pour répondre aux questions du début. Mais grâce à ses nombreuses ambiances, son esprit burlesque et loufoque, et ses personnages optimistes, le réalisateur peut avoir des transitions parfaites. On peut passer d’une bagarre à un plan fraternel touchant en quelques mouvements. Et cela, grâce à un montage dynamique qui relie tous les tons incorporés. Le montage entre des scènes est rythmé et réalisé en fonction des espaces filmés. Comme l’exemple pris précédemment, une fusillade dans un parc, suivie d’une course poursuite dans un bois, avant le plan d’ensemble où les frangins dorment dans une barque sur un lac. Le bois devient à la fois le lieu de fuite, et le lieu où les rêves explosent.
C’est grâce à tous ces choix de lieux que Panos Koutras peut diversifier sa forme. Le film peut se découper en trois parties. Pas tout à fait distinctes, car on retrouvera des éléments des parties précédentes dans les suivantes. Toutefois, le film peut se distinguer ainsi : une errance, une longue épopée, puis une tragédie finale. L’épopée sonne comme la réponse formelle pour parvenir à la réponse tragique, qui résout les problèmes de l’errance. Grâce à son épopée, Panos Koutras lâche toute l’énergie contenue dans les esprits de l’errance. L’épopée offre de plus fréquents plans courts, et joue plus souvent sur les échelles de plan. L’épopée, dans ses ruptures de ton, cherchera (à de multiples reprises) à varier les points de vue. Le seul exemple du cabaret suffit à illustrer cette idée. Entre les plans rapprochés et les plans moyens, la caméra fixe ou portée, il y a une réelle envie d’apporter plusieurs tons selon le personnage filmé.
Tout ces détails se retrouvent également dans l’esthétique. Panos Koutras choisit, dans sa mise en scène, de jouer constamment sur la distance entre les deux frangins. La distance apporte la tragédie, le rapprochement apporte la loufoquerie. Ainsi, le film jouera sur la noirceur (la bagarre, la dispute, l’intrusion, l’hôtel délabré, …) face à la colorisation appuyée (les sucettes, la sandwicherie, l’audition, …). Le kitsch est surement le détail principal de la mise en scène de Panos Koutras. Car, grâce à cette esthétique exagérée, les acteurs sont dans l’élément optimiste qui leur est demandé de jouer. La fusion entre les paysages, l’esthétique et les personnages est complète. Panos Koutras peut alors dérouler son récit.
Sauf que sa quête d’identité est à l’état de brouillon. Le réalisateur nous livre un contexte de Grèce ravagée. Mais à quel prix ? Celui de vouloir parler de beaucoup trop de choses à la fois. C’est par là que le film prend des risques, où il peut rapidement devenir un film à saynètes indépendantes. Le propos de Panos Koutras est trop fourre-tout. Entre l’homosexualité, la xénophobie, le libéralisme, la crise économique, les espoirs placés dans la jeunesse, l’effondrement culturel, etc… A force de vouloir incorporer ses personnages dans tous ces problèmes, le cinéaste ne peut faire évoluer ses personnages. Les deux frangins sont attachants par leur optimisme, par le burlesque qu’ils provoquent. Toutefois, la satire et la tragédie restent à leur point de départ.
4 / 5