Traditionnellement, le Mercredi soir aux Arcs Film Festival est un rendez-vous qui rassemble beaucoup de personnes. Au bar Les Belles Pintes, plusieurs professionnels, journalistes, festivaliers, invités et même des membres de l’équipe du festival se rassemblent pour une soirée quiz. Malheureusement, nous n’avons pas eu le droit à cette soirée toujours déchaînée, avec l’inévitable transformation de l’édition en mode digital. C’est fort bien dommage, on aurait bien aimé crier à nouveau « Michel Blanc » lorsqu’il apparaît à l’écran pour gagner un plateau de shots. Un plateau destiné à la table qui fut la première à le crier, parce que la soirée quiz se déroule évidemment en équipes. Souvent des équipes très variées, avec peut-être un peu de favoritisme ici et là (wink, wink), qui donnent beaucoup de voix entre deux gorgées. On adore essayer de deviner les films de l’année à travers des images diffusées sur l’écran, on aime également s’engueuler amicalement entre adversaires, et on aime prendre et reprendre des shots. Toujours une soirée très survoltée, qui a des chances de continuer (pour les plus motivé-e-s et les plus fous/folles) dans le club O’Chaud. Alors, où sont les équipes cette année ? Même si nous ne pouvons pas vous entendre depuis le lieu om nous écrivons ces lignes, nous espérons que vous êtes bien chaud et pas encore trop fatigués à ce moment du festival. Sortez votre meilleure voix, apprêtez-vous à taper des mains sur une table en bois (avec une bière en face de vous, de préférence), puis soyez vifs à l’annonce de la question. Vous êtes prêt-e-s ? Alors on se donne rendez-vous en Décembre 2021 pour une soirée quiz qui devra en rattraper une manquante.
Les films vus
Nous avons commencé la journée avec VAURIEN de Peter Dourountzis. Titre évocateur mais surtout à double-sens pour le premier long-métrage de Peter Dourountzis. Son protagoniste Djé est de retour en ville, sans argent, ne pouvant utiliser que son charme angélique. Il cherche alors toute opportunité lui permettant de s’abriter pour dormir, de travailler pour gagner un peu d’argent, de rencontrer pour aimer. Sauf que Djé cache un autre visage, plus monstrueux. Prendre un tel personnage comme mouvement principal du récit est osé, surtout qu’il permet par son point de vue interne de témoigner d’une violence constante. Il y a donc une interaction directe avec la violence, que ce soit avec le cadre ou avec nous spectateurs, avec la conversion de ses regards en contre-champ d’image. Avec toutes les rencontres qu’il fait, Djé se fait aussi le témoin d’un chaos social général. C’est là toute la force du long-métrage : Peter Dourountzis réussit à créer la double sensation de faire l’expérience d’une cruauté sociale et de faire l’expérience d’une violence monstrueuse. Tout ceci grâce à une déambulation curieuse, qui par le mouvement permanent de Djé, incruste de nouveaux éléments ou de nouveaux corps dans le cadre. C’est donc une ambiance entre film social et film d’horreur qui s’installe. Un univers anxiogène mais qui garde ce regard à moitié angélique et démon, possible grâce à la performance plein de nuances de Pierre Deladonchamps. La rue source de misère et de fuite, entre obscurité dangereuse et réalisme joyeux, qui est le terrain principal de ce personnage pivot qu’est Djé. Cependant, il est dommage que la mise en scène perde de son énergie, en se reposant progressivement sur sa dualité ange/démon, ne devenant qu’une succession de réactions aux attitudes du protagoniste.
Puis nous avons vu une belle surprise, dont on n’attendait et ne savait rien du tout. Il s’agit de APPLES de Christos Nikou, l’histoire de Aris qui devient soudainement amnésique à cause d’une pandémie mondiale inconnue, et qui devra réapprendre à vivre grâce à un nouveau traitement dont il fera le test. Un film-concept dystopique dans le monde moderne, démarrant sous des traits mélancoliques, regardant son protagoniste comme si la vie l’a abandonné, lui retirant toute émotion et toute connaissance. Pourtant, la mélancolie ne semble pas vraiment intéresser Christos Nikou, qui la transforme petit à petit en une capture du surréalisme. Celui où Aris semble être un total étranger, débarqué soudainement dans ce monde qu’il découvre et dont il cherche à s’imprégner. Telle une renaissance, où la pomme pourrait prendre un double-sens : croquer dedans pour prendre conscience d’une existence, ou croquer dedans car elle permet d’avoir une bonne mémoire. Une symbolique assez absurde, si bien que le film peut poser une question étonnante : où est la fiction ? Est-elle dans la vie amnésique d’Aris, qui provoque un côté surréaliste et absurde au film ? Ou alors est-elle dans le monde qui entoure Aris, ce monde qu’il ne reconnaît pas ? Sans jamais vraiment répondre à cette question, parce que le film est surtout une expérience, le cinéaste a une approche assez onirique face à tout cela, dans laquelle il inclut Aris et le monde qui l’entoure. Cet onirisme a même quelque chose de clinique dans son exécution, tant le cadre fixe est strict avec les mouvements d’une mise en scène léthargique, et même avec un rythme fondé sur de nombreuses ellipses avec lesquelles le temps de renaissance semble suspendu. Parce qu’au final, les images fixes de cette renaissance ne sont qu’un test de reformatage de l’humain à un système de vie.
Enfin, nous avons terminé la journée avec un troisième visionnage, celui de LE PROCÈS DE L’HERBORISTE de Agnieszka Holland, dont on a pu découvrir L’OMBRE DE STALINE en juin dernier lorsque les salles étaient ouvertes. Elle nous revient déjà avec un nouveau film d’époque, à mi-chemin entre la biographie et le film politique. Le long-métrage raconte l’historie de Jan Mikolasek, un herboriste et guérisseur qui a exercé avant / pendant et après la seconde guerre mondiale. Entre guerre et crises, il consacre sa vie à soigner les gens qui viennent le voir, peu importe d’où ils viennent dans l’Europe. Sauf que sa popularité grandissante ne plaît pas beaucoup aux dirigeants politiques, et sera accusé d’avoir empoisonné deux patients qui sont morts. Pour raconter le parcours de Jan Mikolasek qui l’a amené jusqu’à ce procès, la cinéaste met en place un récit en flashbacks, comme pour effectuer une mise en miroir entre les événements passés et les événements présents. Sauf que la cinéaste s’applique juste à raconter les moments essentiels de la vie du protagoniste, mais n’en crée jamais des échos. Malgré cette approche très académique du storytelling et de la construction des enjeux, Agnieszka Holland a toujours pris le soin de travailler la reconstitution. Le saut du film entre les différentes époques est très soigné, si bien que chaque période a sa propre esthétique, comme une recherche de la beauté chez des âmes perdues dans une intemporalité cruelle : la tragédie d’une solitude en plein cœur d’une Histoire très mouvementée et féroce. Une Histoire qui se personnalise fortement bien dans une reconstitution soignée d’un univers ténébreux cher à la cinéaste. Même si le long-métrage n’est pas vraiment captivant par son imagerie, il reste mordant par sa frontalité et son honnête sensibilité.
Nous n’avons pas eu le temps de visionner des rencontres aujourd’hui. Même si ce ne sont que trois films vus (comme chaque jour), il y a eu beaucoup d’écriture en cette journée. Mais pas d’inquiétude, notre encart « Un festival, c’est aussi des rencontres » revient dès demain avec du contenu très alléchant. En attendant, vous pouvez toujours continuer à visionner les plus de 80 films disponibles sur la plateforme, il y a forcément quelques films qui feront votre bonheur. Malgré l’absence de neige et de quiz qui fait perdre la voix, l’édition Hors Piste continue avec toujours autant de choses à partager et de lignes à écrire. Vous partager notre expérience avec ce très beau festival est un immense plaisir, alors on se donne rendez-vous dès demain : bon festival à tou-te-s !