L’écrivain de science fiction Philip K. Dick n’est pas à présenté (sinon il faut rattraper d’urgence), mais à redécouvrir en commençant par l’un de ses premiers livres, prix Hugo en 1963 : le Maitre du Haut Chateau, ou l’uchronie par excellence.
L’uchronie est simple : raconter l’Histoire, mais une Histoire différente ici : que serait devenu notre monde si les Nazis avaient gagnés la Seconde Guerre Mondiale? Dick n’y va pas par quatre chemins, et divise un monde en deux, partagés par les Allemands et les Japonais, et quelques rares zones neutres (Canada…). Les Etats-Unis en particulier sont divisés en deux, par les deux puissances victorieuses. Nous découvrons donc une zone ouest des USA sous influence nippone, où la galerie de personnages qui nous sont exposés vivent depuis avec la philosophie toute asiatique, et dans la peur de la grande soeur germanique. Le point commun entre chaque personnage est leur vision d’un livre, La Sauterelle Pèse Lourd, fiction où la guerre était gagnée … par les Alliés. Dick fait donc le tour de la question, en interrogeant ses personnages sur une éventuelle victoire des américains.
Et c’est bien là toute l’originalité de cet ouvrage. Ici, les protagonistes ne cherchent pas à revenir dans notre réalité, ou à modifier le cours du temps. Leur occupation est bien réelle, et le tout est de voir, comprendre leurs pensées, l’état d’esprit d’une Amérique occupée, où les blancs « natifs » sont conspués, et les japonais la classe dominante. Au-delà, Dick ponctue son récit d’une vraie histoire, mêlant politique et espionnage, reflétant les problèmes de ce monde parrallèle, mais servant à imprimer du rythme à l’histoire. Au troisième plan, la quête de l’auteur de la Sauterelle Pèse Lourd conduit une femme dans les Rocheuses pour une remise en question toute personnelle… Plutôt que d’écrire une banale histoire de science fiction, Philip K. Dick nous gratifie ici d’une description parrallèle, d’un What If… qui soulève les maux d’une société, quelqu’elle soit, et encore plus sous régime sino-nazi. Certes, il laisse quelques traces laissant entrevoir comme un jeu de miroirs entre le lecteur et ses personnages, via l’usage de certaines techniques de divinations. Les dernières pages laissent ainsi entrevoir que la réalité, notre réalité, s’imposerait sur la leur. Ils découvriraient ainsi que ce que raconte le livre dans le livre… ne serait que vérité! Une fin troublante, ouverte, qui finalement laisse le lecteur dans sa propre réflexion.
Au-delà des idées, Le Maitre du Haut Chateau est un exercice de style particulièrement réussi, superposant à notre Histoire une alternative moins glorieuse, mais tout aussi audacieuse et logique. Pour revenir à des jeux de temps et d’espace, laissant flotter l’idée que la séparation entre fiction et réalité ne serait pas aussi épaisse que prévu. Et si…?
3.5 / 5