À moins d’être un mouton (de Panurge) vous connaissez ce sentiment d’être à part lorsque vous n’êtes pas gagné par l’emballement collectif autour d’une œuvre. Vous oscillez alors d’un extrême à l’autre, entre la culpabilité de ne pas partager l’enthousiasme global, et un dédain inadapté. Sachez qu’il y a un entre-deux bien plus honnête et « bienveillant ».
Ainsi, voilà ce qui se passe quand on arrive après la bataille, avec L’Anomalie. Encensé un peu partout, récompensé par le prix Goncourt 2020, teasé par des médias ravis d’avoir son auteur (Hervé Le Tellier, trop rare) comme invité, le roman semblait presque être un passage obligé entre les mains des lecteurs. On parlait déjà d’un phénomène. Impossible de mettre des chiffres dans cet article, ils seraient immédiatement obsolètes. Ne pas lire ce roman : une faute de goût.
Et c’est vrai que L’Anomalie accroche. Plutôt vite. La galerie de portraits du début est intéressante. On voit bien que les liens se dessinent, se tissent peu à peu. On hésite sur la place à accorder à Victor Miesel, l’auteur du roman L’Anomalie dans ce même récit, sachant qu’on ne veut pas y voir d’aspect autobiographique avec Hervé Le Tellier. Enfin, on est définitivement capturé quand l’histoire bascule avec l’atterrissage de l’avion (en juin, précisons-le pour ceux qui ont lus le livre, sans rien divulguer aux autres).
Mais lorsque les mystères surviennent, c’est humain, il faut des explications. L’Anomalie n’est pas avare en réflexions : philosophiques, métaphysiques, théologiques… il y a de la matière, peut-être un peu trop diront certains commentaires lus ici ou là, mais ce n’est pas bien grave. En revanche, monter un si beau plan (de vol) et être si peu bavard dans les réponses, c’est frustrant. On peut toujours se réfugier derrière un « mais c’est au lecteur de trouver l’explication qui lui convient le mieux »… c’est léger. Hervé Le Tellier n’est pas Platon, L’Anomalie n’est pas la nouvelle allégorie de la caverne. C’est un excellent synopsis d’un film divertissant, et on imagine assez facilement une adaptation ciné ou télé jusqu’à… la fin bien trop ouverte qui en révolterait plus d’un.
On referme donc le roman avec l’esprit embrouillé, on cherche pendant une minute ou deux quelques informations sur la dernière phrase, et puis lentement, on commence à oublier. Sans dédain, sans culpabilité.