L’Étrange Vallée – une découverte du monde des startups par Anna Wiener

Anna est jeune, new-yorkaise, travaille dans l’édition, et s’ennuie déjà. Alors elle se laisse piquer par la curiosité et fait un grand saut, d’est en ouest, du vieux monde au nouveau : celui des jeunes pousses, de l’enthousiasme débordant, de la Silicon Valley.

L’Étrange Vallée est le premier livre d’Anne Wiener. Un récit initiatique de sa découverte d’un monde qui fascine, un monde qui détruit autant qu’il construit. Soudain, Anna découvre qu’elle a tout à portée de main : de l’argent (son salaire ne cesse d’augmenter), des goodies, une vie facile mais qui perd aussi de plus en plus de sens.

Car une fois entrée dans cet univers des startups de la Tech, Anna va explorer. Elle ne restera pas en place dans son entreprise mais en découvrira plusieurs, parfois indirectement. Ce qui gêne au début, c’est l’absence de noms, de marques, volontairement tues et décrites pas des périphrases. Exemples : « le réseau social honni de tous » cible clairement Facebook, « l’application de partage de photos » désigne Instagram, etc. C’est amusant quand c’est simple à deviner (comme lorsqu’elle rejoint la startup open source au logo en forme de chat-pieuvre, tous les développeurs auront reconnu Github), mais plus embarrassant lorsque l’on souhaite être certain de comprendre qui — ou quoi — est relaté dans le livre. D’ailleurs des lecteurs ont fini par regrouper leurs déductions dans un post Medium pour faciliter le suivi du récit.

L’Étrange Vallée n’est pas qu’une galerie de sociétés ou d’applications à la mode, c’est aussi une galerie du portraits. Certains semblent même de véritables clichés ambulants de San Francisco. Et pourtant, Anna Wiener ne déborde jamais : elle décrit avec une sincère naïveté, raconte sans ironie, explique avec candeur. Des réunions stupéfiantes où des carrières s’arrêtent en un instant, des déjeuners improbables, des pleurs, des coups de téléphone qui changent tout, comme celui qui fera de son nouvel ami Patrick Collison (CEO de Stripe) l’un des plus jeunes multi-millionnaires de son époque alors qu’ils marchent côte à côte dans la rue en rentrant de dîner.

Que retenir de L’Étrange Vallée ? La gentrification destructrice de San Francisco ? La finance qui gangrène les jeunes pousses de la Silicon Valley ? La déconnexion flagrante de ces employés de la Tech avec la réalité de la société qu’ils veulent changer (pour l’améliorer) ? Le livre est une histoire de désillusion, mais une désillusion conscientisée. L’aventure racontée par Anna Wiener s’achève en 2016 avec l’élection de Donald Trump, et l’on a déjà l’impression qu’une ère s’est écoulée depuis.

Depuis, Anna Wiener écrit : pour The New Yorker, pour The Atlantic, pour The New Republic… Elle écrit sur la Tech, sur la Silicon Valley « évidemment » pourrait-on dire. Elle a trouvé à travers ses expériences malheureuses le sens qui lui manquait dans son activité professionnelle. De l’amertume, quelque chose de très bien est ressorti.

L’Étrange Vallée — Anna Wiener — Éditions Globe, 2021